Une arrestation renverse un pays. Les manifestations tournent en émeutes. Onze Sénégalais sont morts en deux semaines. Décryptage d’une situation brûlante à quelques heures d’une nouvelle manifestation.
« Je me sens trahi par mon pays », crache Sombi Guerté. Le 26 février dernier l’opposant anti-système, Ousmane Sonko est inculpé pour viol. Face à cette grave accusation, l’homme qui a terminé troisième aux dernières élections présidentielles en 2019 hurle au complot. Tout serait monté par le président en place, Macky Sall. Alors qu’il se rend au tribunal, il est arrêté pour trouble à l’ordre public et part en garde-à vue. L’arrestation est alors la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour la jeunesse sénégalaise, durement frappée par la crise économique. « Le Covid a fait mal à notre pays. Il y a un véritable mal-être chez les jeunes. Notre voix est supprimée, le chômage est partout. C’est intolérable » s’indigne Sombi, étudiant sénégalais de 20 ans. Les nerfs sont à vifs et les manifestations tournent en émeute. Face à ces violences, la police répond par des tirs à balles réelles. Onze Sénégalais sont déjà morts. « C’est un comportement inhumain, je voulais aller dans la rue, mais quand j’ai vu ce qu’il s’y passait, j’ai vite oublié l’idée. Ces policiers sont inhumains. De toute manière, je n’ai jamais manifesté, je ne sais pas comment ça marche ».
Un soulèvement populaire
Les émeutes ont attiré des partisans de Sonko, des opposants de Macky Sall, des jeunes en colère, mais également des casseurs. Ces derniers ciblent plus particulièrement les firmes françaises, comme Carrefour ou Total. Des compagnies visées en raison des relations étroites entre l’État français et Macky Sall . « L’ombre du gouvernement français précède chaque décision de Sall. L’Hexagone a une grosse emprise sur le gouvernement », dénonce Mojo Morgan, artiste sénégalais. « Le colonialisme s’est terminé il y a plusieurs décennies. Nous ne voulons plus de la France chez nous. Pour ces jeunes, la violence, est le seul moyen de se faire entendre ». Face à la situation alarmante, Macky Sall a lancé « un appel au calme et à la retenue ». Dans une allocution présidentielle télévisée d’une dizaine de minutes, il invite les citoyens à « s’apaiser ». L’ONU s’est également exprimée sur le sujet. Mohamed Ibn Chambas, représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest, a invité « tous les acteurs à la retenue et au calme ».
Les réseaux sociaux au cœur du mouvement
Une mobilisation mondiale est apparue sur les réseaux sociaux. Le #FreeSenegal a envahi Twitter. Mojo est chanteur et percussionniste au sein de Morgan Heritage. Le groupe, qui cumule plus d’un million d’abonnés sur les réseaux, partage les vidéos des manifestants. « Nous vivons en Floride, mais le Sénégal est dans nos cœurs. Nous y sommes nés, c’est notre maison. Nous avons joué dans un stade de 60 000 personnes là-bas, on ne peut pas rester insensibles quand notre pays s’embrase ». Sur la toile, les vidéos de violences pullulent et les manifestants s’organisent. Et le gouvernement jouerait un rôle clé. « Mon frère manifeste à Dakar et je ne parviens presque jamais à le contacter. Il m’a dit que le gouvernement brouillait le réseau pour gêner les manifestants ». Les accusations de complots fusent à Dakar et la situation risque d’empirer. Ousmane Sonko, tout juste sorti de détention, a déjà lancé un appel à la manifestation. La Croix-Rouge, qui a déjà annoncé un bilan partiel de 590 blessés, appelle avec insistance des volontaires à donner leur sang. Ce samedi 13 mars risque, en effet, d’être sanglant.
Vincent Pic