Cinq ans après la disparition de Delphine Jubillar, la cour d’assises du Tarn condamne, son mari, Cédric Jubillar, le 17 octobre 2025, à trente ans de réclusion pour meurtre. Aucun corps, aucun aveu, aucune certitude absolue : ce verdict, aussi exceptionnel que controversé, révèle la complexité de la justice.
Dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020, Delphine Jubillar, infirmière et mère de deux enfants, disparaît du pavillon familial de Cagnac-les-Mines, dans le Tarn. A l’aube, son mari, Cédric, alerte les gendarmes, prétendant qu’elle a quitté la maison pour promener le chien et n’est jamais revenue. Rapidement, les recherches s’intensifient : battues, chiens pisteurs, hélicoptères… rien n’y fait. L’affaire prend une ampleur nationale. En parallèle, les enquêteurs découvrent un couple en crise, une séparation en cours, une liaison de Delphine avec un autre homme. En juin 2021, Cédric Jubillar est mis en examen pour meurtre. Il clame son innocence, tandis que l’enquête s’enlise dans un dédale d’hypothèses et d’indices ténus.
Un verdict au nom de l’intime conviction
Le procès s’ouvre le 22 septembre 2025 à Albi, sous haute tension médiatique. Les enquêteurs reconnaissent des erreurs initiales, mais l’accusation s’appuie sur un faisceau d’éléments : des incohérences dans les déclarations du mari, une paire de lunettes brisée, des traces suspectes sur son téléphone, un comportement jugé étrange dans les jours suivant la disparition.
Face à eux, la défense dénonce un dossier « à charge », bâti sur des impressions plus que sur des preuves. Jubillar, souvent provocateur à la barre, répète : « Je ne sais pas », « Je ne me souviens plus ». Aucun aveu, aucun remords apparent.
Le 17 octobre, la cour d’assises le condamne à trente ans de réclusion criminelle. Le verdict repose sur l’intime conviction des jurés : une décision rendue malgré l’absence de corps et de preuve matérielle directe. La défense annonce son intention de faire appel.
Cette sentence marque un tournant. Condamner sans cadavre, est-ce juger dans le vide ? Les jurés affirment « leur certitude » ; beaucoup d’observateurs, eux, s’interrogent. L’affaire met en lumière les limites d’un système judiciaire qui doit trancher, même lorsque les faits échappent.
La force du procès réside dans cette tension : d’un côté, la nécessité de rendre justice à Delphine et à ses proches ; de l’autre, la fragilité d’une démonstration sans preuve formelle. C’est tout l’équilibre de la justice française qui s’y joue, entre émotion et raison, conviction et certitude.
Quand le fait divers devient phénomène national
Depuis 2020, l’affaire Jubillar s’impose comme un véritable feuilleton national, au croisement du drame intime et du spectacle médiatique. Elle concentre tout ce qui, dans l’imaginaire collectif, alimente la fascination pour le fait divers : un couple ordinaire, une disparition inexpliquée, un mari accusé, une mère de famille devenue symbole d’absence.
L’histoire touche à l’intime, la cellule familiale, la jalousie, la rupture, mais s’inscrit aussi dans une dimension publique : celle d’une Justice observée, commentée, disséquée en continu. Les médias traditionnels comme les réseaux sociaux transforment chaque révélation, chaque détail du dossier, en épisode d’un récit partagé. La parole des enquêteurs, des avocats, voire des proches, circule, s’interprète, se déforme parfois, nourrissant une bulle informationnelle. Le procès devient objet de conversation nationale.
Cette omniprésence traduit une fascination collective pour le mystère et le soupçon, mais aussi une quête de sens face à l’invisible. Chercher le corps, c’est chercher la vérité ou du moins une certitude. Dans un monde saturé d’images et de récits instantanés, l’affaire Jubillar met à nu notre rapport au fait divers : elle révèle à quel point la Justice se vit désormais aussi dans l’espace public, entre émotion partagée et quête de la compréhension.
Aujourd’hui, la justice tranche : Cédric Jubillar est coupable. Pourtant, Delphine n’en reste pas moins introuvable, et le mystère plane. Ce procès, suivi par des millions de Français, dit autant sur l’homme jugé que sur ceux qui le regardent. En condamnant sans corps, la cour d’assises rappelle la force et la fragilité de l’intime conviction : celle d’une justice humaine, qui cherche la vérité au cœur du doute, sous les yeux d’une société avide de réponses.
Bettina Jouan