Depuis, le 9 octobre, jour de l’entrée de Robert Badinter au Panthéon, le Mucem à Marseille a exposé une guillotine de 1872. Présentée dans l’exposition permanente ”Populaire ?”, cette pièce rare, habituellement conservée en réserve, est exceptionnellement visible.
Quatre mètres de haut. Près d’une tonne. Une lame en acier d’environ cinquante centimètres suspendue à une corde. Quand on entre dans la salle, « la grande veuve » s’impose immédiatement. Dans la pénombre du rez-de-chaussée du Mucem, la guillotine trône, dressée sur son socle noir. À l’entrée du musée, un grand kakémono annonce l’instrument de torture. Les lumières, tamisées, semblent s’effacer devant elle. Ici, l’ambiance contraste avec les salles précédentes. Un silence pesant règne. Les visiteurs s’approchent lentement. Hésitants. Comme happés par la violence froide de l’objet. L’atmosphère, presque religieuse, transforme la visite en un moment de recueillement collectif. Un choix fort, chargé d’histoire, qui résonne avec l’hommage national rendu à celui qui fit abolir la peine de mort.
« Ce trou, c’était pour mettre la tête ». Une mère tente d’expliquer à son fils d’une dizaine d’années. Elle chuchote. « La lame tombait et… C’est horrible ». Un peu plus loin, Marie, retraitée, est comme paralysée face à la machine. Longtemps, elle reste là, assise sur un banc. « C’est un instrument de torture archaïque… J’imagine des têtes coupées devant nous ». L’émotion étouffe sa voix.
Cette guillotine date de 1872 (en remplacement de l’exemplaire brûlé pendant la Commune de Paris en 1870). Bois et métal, fabrication Alphonse-Léon Berger. Elle a été affectée au musée par le ministère de la Justice en 1982, sur proposition du garde des Sceaux de l’époque Robert Badinter, dans un devoir de mémoire. L’année précédente, il avait porté à l’Assemblée nationale la loi abolissant la peine de mort. « Demain, grâce à vous, la justice ne sera plus une justice qui tue » s’était alors exclamé l’ancien homme politique. Son geste de don au musée s’inscrivait dans une volonté claire : transformer un symbole de mort en outil de réflexion citoyenne.
Une date symbolique
Le 9 octobre 1981, la France tournait une page de son histoire. Quarante-quatre ans plus tard, jour pour jour, c’est au Panthéon que la République a rendu hommage à cet homme de justice. À Marseille, le Mucem a choisi de montrer, pour la première fois depuis longtemps, ce « bois de justice » confié par Badinter lui-même. Une manière de rappeler ce qu’il a voulu abolir : la mort administrée au nom de la loi.
Autour de la machine, les réactions varient entre fascination et effroi. « Je suis venu au Mucem un peu par hasard, en sortant du travail » confie Antoine. « C’est vraiment la partie la plus marquante de l’exposition. Elle rappelle les bons, et malheureusement aussi les mauvais moments de l’histoire de France » . Aujourd’hui, la lame reste bloquée, conformément aux souhaits de Robert Badinter. Figée à jamais, comme la page d’histoire qu’elle symbolise.
Le Mucem, musée des sociétés
L’exposition permanente du Mucem, intitulée « Populaire ? Les trésors des collections », met en scène des objets du quotidien, du mobilier à la mode, de la céramique à l’architecture. Parmi ces thèmes, une section attire particulièrement : « Peuples en mouvements », consacrée aux grands tournants sociaux qui ont façonné la France contemporaine : grèves de 1936, Mai 68, droits des femmes en 1974, mariage pour tous en 2013, ou encore attentat contre Charlie Hebdo en 2015.
Au milieu de ces jalons de mémoire, la guillotine dépasse les murs délimitant les espaces de l’exposition. Elle incarne, à elle seule, la lutte pour un progrès fondé sur la dignité humaine. À travers cet objet monumental, le Mucem rappelle que les combats pour la justice et les droits de l’homme s’inscrivent dans le temps long et que leur mémoire mérite d’être regardée, sans détour.
Les visiteurs ressortent silencieux. Certains baissent les yeux, d’autres jettent un dernier regard vers la lame. Enfin immobile.
Marius Linarès