L’Institut d’Études Politiques (IEP) d’Aix-en-Provence a ouvert ses portes samedi 12 octobre à l’association étudiante de rhétorique Aix’loquence, dans le cadre de la semaine « Bienvenue à Aix-en-Provence ». Parmi les activités proposées, deux avocats se sont essayé sur le sujet suivant : la place grandissante de l’éloquence dans l’avocature : de la plaidoirie aux médias. Une problématique estimée « large et complexe » par Maître Perrier.
Les avocats ont attiré une audience importante, composée d’étudiants en science politique, en droit voire des lycéens, dans l’amphithéâtre Bruno Étienne. Le Président de l’association, le directeur de Sciences Po Aix, Rostane Mehdi, et une adjointe au Maire, ont présenté et remercié les conférenciers, en rappelant l’importance de l’éloquence à l’ère des médias.
Maître Philippe Klein, avocat et ancien bâtonnier au barreau d’Aix-en-Provence, est secrétaire à l’Atelier de la Langue Française et s’investit dans les journées d’éloquence. Maître Bertrand Perrier est quant à lui avocat aux Conseils depuis 2016, et participe au programme de formation d’art oratoire, Eloquentia, qui a fait l’objet du documentaire « À voix haute : la Force de la parole » en 2016. Auteur également de plusieurs ouvrages valorisant l’éloquence, « Sur le bout de la langue » (2019) ou « Sauve qui parle » (2021), il enseigne l’art oratoire à Sciences Po et HEC.
Les juristes se sont exprimés l’un après l’autre, de manière personnelle et engagée sur le sujet, entrecoupés de moments d’humour subtil. Chacun des avocats a pris soin de mêler des anecdotes de leur propre carrière pour mettre en avant au mieux les rouages de l’éloquence. Si la salle attentive pouvait présumer à ce que l’actualité du procès de Mazan soit abordée, en ce qu’elle révoque la place de l’avocat vis-à-vis des médias, les intervenants ont préféré opter pour une illustration de l’éloquence à leur image.
L’analyse croisée des deux avocats
Maître Philippe Klein a d’abord rappelé que tenir une conférence dans cette ville était porteur de sens, étant donné qu’elle a bercé de grands juristes et figures d’éloquence. Il évoque notamment les noms de Portalis et de Siméon. Le juriste a ensuite rebondi sur son parcours professionnel en expliquant que chacun avait sa propre éloquence, et qu’il s’agissait d’un travail continu, qui n’a rien d’inné. Pour insister sur la multitude d’éloquence possible, il a simulé trois plaidoiries différentes sur une même affaire fictive de la Cour d’assises. L’avocat a employé pour chaque défense, une rhétorique distincte. « Il nous a plongés dans son métier et nous a montré que chacun peut être éloquent à sa façon » confie une auditrice. « J’ai bien aimé qu’il utilise des accessoires en fonction de son rôle, et qu’il parle d’une manière plus ou moins familière ».
Maître Bertrand Perrier, s’est lui étendu sur son rapport personnel à l’éloquence. Il n’a jamais aimé prendre la parole. Et pourtant, il est aujourd’hui enseignant de prise de parole en public. Refusé aux portes de l’ENA, à l’oral, par son examinateur, Jean Castex, il se tourne vers le métier d’avocat et prête serment en 1999. Il découvre la « joute oratoire » dans le cadre du concours d’éloquence des avocats, dans le but de plaider aux assises. Il y parvient et plaide en lisant une cinquantaine de pages : « Je ne l’ai fait qu’une fois, et je ne l’ai plus jamais fait », admet l’avocat. « La présidente d’audience m’a regardé d’une drôle de façon. L’éloquence, ce n’est pas ça ». Il pointe alors du doigt les participants des concours d’éloquence, où il a été juré, qui lisent, et ne sont pas porteurs de l’art oratoire. Il explique que le meilleur moyen d’avoir un bon rapport avec l’éloquence est de se rendre dans les tribunaux, les lieux de cultes et à l’université. « Prendre la parole, c’est souvent compliqué. Mais en voyant les intervenants, ou même les étudiants de l’association, ça donne du courage » observe une spectatrice d’une quarantaine d’années.
Une fois leurs interventions terminées, les avocats ont laissé la parole au public. De nombreuses questions ont été soulevées, notamment sur la notion de multiplicité de l’éloquence. Même si le temps d’échange fut court, étant donné l’éloquence impressionnante dont ont fait preuve les intervenants, la salle écoutait avec grande attention. Le décor ancien de l’amphithéâtre a ensuite laissé la place à deux étudiants : Lou Derouen et Pierre Faury, finaliste et gagnant du concours national d’éloquence. Tous deux présents sur les réseaux sociaux pour prôner l’art oratoire, ils ont abordé la présence de l’éloquence dans l’ère du numérique. De quoi faire réagir la jeune audience attentive.
Blanche Dubois-Faillie