Le vernissage de l’exposition « Fake News : Art, Fiction, Mensonge » s’est tenu mardi 1er octobre à 19h, au Camp des Milles à Aix-en-Provence. L’exposition a été créée par la Fondation EDF, en association avec le CLEMI (Centre pour l’Education aux Médias et à l’Information), et regroupe les œuvres d‘artistes français et internationaux.

Pour accéder au vernissage à l’intérieur du Camp, un passage au contrôle de sécurité est obligatoire. Des chaises sont prévues dans la grande salle où sont exposées les œuvres, mais l’affluence est telle que de nombreuses personnes doivent rester debout. Plusieurs journalistes mettent en place leur matériel tandis que deux visiteurs s’interrogent sur les différentes fake news, ces fausses informations créées intentionnellement (pour nuire, amuser…). On peut les distinguer des false news, qui sont des fausses informations véhiculées par erreur ou manque de vérification. L’un des deux conclut la discussion avec philosophie en déclarant que « chacun a sa propre vérité »

Alain Chouraqui, directeur de recherche au CNRS, débute la série de discours en rappelant que la question des fake news est aujourd’hui fondamentale et représente un fait de société. Selon lui, elles s’apparentent à une arme politique majeure et un tremplin au « développement des extrémismes, du racisme et de l’autoritarisme ». La désinformation et les fausses informations conduisent à une importante perte de repères. Elles mettent en place des engrenages pouvant aboutir à des glissements plus ou moins conséquents de la démocratie. La visée principale de l’exposition est de toucher un public jeune et d’amener un maximum de citoyens à développer un esprit critique, à s’interroger. Alexandre Perra, délégué général de la Fondation EDF, appuie l’importance du travail réalisé auprès des jeunes pour « choquer, faire réagir grâce à l’art »

La problématique des fake news ne cesse d’évoluer : apparaissant autrefois sous forme de rumeurs, elles se sont ensuite démultipliées et renouvelées par l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux. Aujourd’hui, l’environnement informationnel diffère puisque le développement de l’intelligence artificielle bouleverse les repères médiatiques établis. La création de contenus est désormais à la portée de tous, la difficulté à discerner le vrai du faux s’accroît à cause d’un manque certain de régulation. Ces idées sont mises en avant par Laurent Bigot, le directeur de l’École de Journalisme de Tours, qui parie  « que les artistes peuvent nous aider à comprendre le monde différemment »

L’art pour réfléchir à notre approche de l’information et des réseaux sociaux

Les diverses œuvres nous invitent en effet à questionner notre rapport à l’information : certains artistes s’emparent notamment des techniques de retouche d’images pour confronter le vrai et le faux. La plasticienne et photographe Agnès Geoffray a modifié une photographie d’archive représentant une femme déshabillée, tondue et livrée à la foule en la rhabillant pour lui rendre sa dignité (Libération I et II). L’artiste revisite l’histoire en dénonçant des faits historiques et nous invite à analyser les images. Les Yes Men, un duo d’activistes américain, ont diffusé à plus de 80 000 exemplaires une fausse édition du New York Times en 2008, annonçant uniquement des bonnes nouvelles (la fin de la guerre en Irak, la gratuité des universités…). L’œuvre n’a pas pour but de tromper le public mais plutôt de dénoncer des enjeux sociétaux avec humour (voir photo). 

Pour Carole, venue assister au vernissage avec ses collègues de travail, l’exposition reflète parfaitement notre façon de fonctionner aujourd’hui. Elle estime que l’égo occupe une place trop importante dans notre manière de consommer et d’aborder les informations : « on veut être les premiers à avoir l’information et on se met constamment en scène, en avant sur les réseaux sociaux ». Kevin Lau dénonce cette problématique dans des illustrations minimalistes : il évoque l’addiction aux réseaux sociaux, la « pêche aux likes » ou encore le voyeurisme. Trapped (Piégés) est l’illustration d’un iPhone représenté comme un piège à souris, sur lequel l’appât est un like (voir photo). Carole compare notre ère ultra connectée avec l’époque de ses parents : « ils n’avaient pas la télé, ils devaient analyser la vie avec les livres, les journaux, et observer ce qu’il se passait autour d’eux. Aujourd’hui, on est noyés sous les informations et on les diffuse sans réfléchir ». Elle apprécie particulièrement l’œuvre d’Adene, Les Théories du complot à l’heure du numérique (2020), qui représente un cerveau contrôlé par différents réseaux sociaux et dont le propriétaire ne tire que des conclusions complotistes (voir photo). 

L’exposition, ouverte au public depuis le 2 octobre à Aix-en-Provence, a une résonance toute particulière au Camp des Milles. Ce lieu défend des valeurs démocratiques et incarne la notion de mémoire à travers son histoire. 

Clara LE GRAND

The Yes Men, The New York Times Special Edition
(Édition spéciale du New York Times), 2008

Kevin Lau, True Love (Grand Amour), Social Currency (Monnaie sociale), Trapped (Piégés), 2017

Adene, Les Théories du complot à l’heure du numérique, 2020