À chaque coup de klaxon, le pizzaiolo salue les conducteurs d’un sourire franc et d’un geste amical. Cela fait 23 ans qu’Olivier pétrit à la main ses pizzas, 6 jours sur 7, depuis son camion situé Cours Gambetta à Aix-en-Provence. 23 ans qu’il nourrit le quartier.  Ici, tout le monde le connaît.  Et devant son camion, ça klaxonne beaucoup. 

Trois heures. C’est parfois le délai d’attente pour commander une pizza chez Olivier. Le cinquantenaire refuse catégoriquement les plateformes de livraison et les sites Internet. Ici, pas de commande en ligne, pas de Ubereats : juste un camion garé au même endroit depuis 23 ans.  

« À la base je suis pâtissier, j’en ait fait pendant 14 ans et après j’ai eu l’opportunité de prendre un camion pizza ». Olivier avait déjà les bases du pétrissage des pâtes. Le sudiste s’est lancé parce que, financièrement, c’était moins risqué que de racheter une pâtisserie. « Et puis je me suis dit, si je ne tiens pas ou que ça ne marche pas, même si je perds 10 000 euros, je m’en sortirai toujours, alors que si je passe à côté d’une pâtisserie et qu’il y en a pour 250 ou 300 000 euros, ce n’est pas le même dégât ». Ce qui l’a convaincu ? Travailler seul et sans salarié.  

Le nom « Pizza Sepi » vient de l’ancien propriétaire, surnommé « Sepi » par ses collègues. Quand Olivier a racheté le camion, il a gardé la référence. L’ancien patron est resté un moment pour le former : « Il m’a plus ou moins présenté à sa clientèle et voilà, on a fait deux, trois soirs des pizzas ensemble ». Après un grave accident de voiture, il avait dû arrêter deux ans. « J’ai essayé de récupérer au moins la clientèle qui le connaissait, des gens qui n’ont pas bougé, des gens qui habitent depuis 50 ou 60 ans dans le quartier ».  Devant le camion, les habitués se retrouvent chaque soir. Autour du mange-debout, les rires et les discussions vont bon train. Le camion embaume la tomate et la mozzarella fondue. Plus qu’un simple camion à pizza, Pizza Sepi c’est un moment de socialisation, de partage. Derrière le comptoir, Olivier s’affaire, précis et rapide, sans jamais perdre le sourire ou le fil de la discussion.  

«  Pour faire 80 pizzas, il faut faire 17 heures de boulot. Voilà, la vie ».  

Sept minutes. C’est le temps qu’il faut à Olivier pour sortir une pizza. « J’en fais deux par quart d’heure et je bosses de 18 à 22 heures, ça fait 8 à l’heure. Quatre heures de boulot, tu as 32 pizzas dans la soirée ».  

Chaque matin, il pétrit sa pâte dès 10 heures, entre six et huit kilos de farine. « Mon fournisseur m’apporte environ 80% de la marchandise une fois par semaine, le reste, je vais le chercher moi-même ». La pâte repose ensuite jusqu’à 16 heures. « Quand j’arrive ici, je divise la grosse pâte en plusieurs pâtons, qui vont encore lever deux heures : cette deuxième fermentation, c’est ce qui donne tout le goût ». Son four à gaz, alimenté par quatre bouteilles, chauffe pendant près d’une heure. « C’est le minimum pour atteindre la température idéale ».  Le soir venu, « je range, je nettoie, je fais la vaisselle, et il est souvent minuit quand je rentre ». Le lendemain, tout recommence.  

Un métier routinier ? « Oui et non. Oui, parce que forcément, depuis 23 ans, je démarre mon camion, je viens au même endroit, je le rapporte au même endroit ». La préparation reste millimétrée. « Il faut préparer des sauces tomates, couper le jambon, la mozzarella… faire une mise en place comme dans n’importe quel métier ». Mais la routine n’exclut pas la variété. « Tous les soirs, j’ai des clients différents : qui veut une moyenne, qui veut une grande… Sur 36 pizzas, je ne fais jamais la même ». Le camion lui permet aussi de sortir du quotidien. « Je fais beaucoup de lendemains de mariage, des anniversaires, le dimanche midi ». Ces jours-là, le rythme s’intensifie. « Je me suis levé à 5h30, j’ai pétri à 6h… C’est à 7h du matin que j’attaque les premières pizzas ! (…) Il est 16h quand je rentre, à peine le temps de reprendre la pâte et revenir ici pour mon emplacement du soir ». Mais ces longues journées restent l’exception. « si je fais 30 pizzas ici et 50 le midi, ça fait 80 pizzas. Pour faire 80 pizzas, il faut faire 17 heures de boulot. Voilà, la vie ».

« En vingt-trois ans, il m’est arrivé d’être absent quatre mois pour une fracture de la clavicule ». Olivier ne s’accorde qu’un petit mois de vacances par an : « Un peu à Noël, un jour de l’an, trois jours par ci, trois jours par là, une semaine en février … » .  Habitué au rythme, il en a pris son parti. « Ça fait 36 ans que je suis dans l’alimentaire. J’ai toujours fait des heures de fou. En pâtisserie, je travaillais de 2h du matin à 14h, six jours sur sept ». Un tempo qu’il garde encore : « Pas de week-end, pas de jour férié. Mercredi, c’est mon jour de repos, je suis fermé. Et après, je reprends du jeudi au mardi soir, non-stop ». Le mercredi, il le consacre souvent à l’entretien de son camion. 

« J’ai 52 ans, il n’y a jamais personne qui m’a livré un truc à la maison ».  

Le pizzaiolo revendique une manière simple de travailler. « J’ai pas de réseaux sociaux, j’ai pas de site Internet, j’ai rien ». Il assume ce choix à contre-courant « Je travaille à mon niveau, et tous les jours on m’appelle pour me dire qu’on va me faire un site. Mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse d’un site Internet ? 

La seule façon de déguster les pizzas d’Olivier : se rendre sur place. Pour lui, tout se joue dans le rapport humain. Contrairement aux livreurs qui n’ont que des noms, des numéros de téléphone et des digicodes à retenir : « Moi, je vais vous voir cinquante fois. Je ne sais pas comment vous appeler, je ne sais pas votre nom de famille, votre prénom. Mais je vais vous voir et vous dire bonjour, parce que je vous connais ».  

Pour le sudiste, chacun choisit son fonctionnement. « Je suis pas dans ce système de plateformes de livraison. Si j’ai envie de manger des sushis le mercredi, je vais les chercher. (…) J’ai 52 ans, il n’y a jamais personne qui m’a livré un truc à la maison. Jamais, ce n’est pas ça la vie ». 

 « J’ai pas de vie de famille »

Pour lui, c’est un métier en dents de scie : « on ne sait pas pourquoi les gens viennent aujourd’hui, pourquoi ils ne viennent pas demain. C’est le commerce » . Il doit donc sans cesse s’adapter.  « J’ai pas de vie de famille ». Il garde pourtant son humour. « Demain matin à 7h, je vais chez ma fille peindre les volets. Je vais rapporter une part de pizza… si elle est sage ! » . 

Pour l’instant, Olivier ne songe pas au changement. « Après, je ne pense pas que je vais aller jusqu’à l’âge de la retraite ». Il attend le moment où sa deuxième fille « aura un bon boulot ». À ce moment-là, « peut-être que je changerai le fusil d’épaule ».  En dehors du camion, Olivier aime le VTT, la rando et le monoski.  

Ces deux filles ont d’ailleurs deux pizzas à leur nom sur la carte : Camille et Estelle. 

Quant au secret de sa sauce tomate ? Mystère. La recette ? Sûrement les années d’expérience d’un père de famille acharné au travail. La vraie recette, c’est lui.  

 

Bettina Jouan