Au Pavillon de Vendôme, Aix-en-Provence explore la mémoire de ses grandes expositions Cezanne de 1956 et 1961. Un voyage dans les archives et les récits d’époque, pour saisir comment l’image de Cezanne s’est peu à peu inscrite au cœur de l’identité aixoise.
La porte du Pavillon de Vendôme grince doucement. La lumière de fin d’après-midi glisse sur le parquet, et le silence un peu solennel des dernières heures d’exposition enveloppe les salles. Les visiteurs se font rares : on entend seulement le bruit discret d’une enceinte qui se met en marche et le chuintement des pas sur le bois.
Qui dit peinture en Provence dit Cezanne… Et à Aix, on remonte aux expositions qui ont tout déclenché. Conçue comme un travail d’enquête, l’Expo des Expos revient sur la manière dont Aix a, au fil du temps, montré son peintre et participé à la construction de sa postérité. À travers des documents originaux, des films d’époque et un dispositif sonore immersif, le Pavillon de Vendôme raconte comment Cezanne est devenu, au-delà de son œuvre, un repère culturel, patrimonial et identitaire.
Le parcours s’ouvre sur l’année 1956, marquée par la première grande exposition Cezanne jamais organisée à Aix-en-Provence, à l’occasion du cinquantenaire de la mort de l’artiste. Sur les murs, les lettres officielles et les télégrammes encadrés racontent l’ampleur du projet : sous la direction de Jean Leymarie, alors conservateur du Louvre, près de quatre-vingt-dix œuvres sont rassemblées grâce aux prêts du MoMA de New York, de la Tate de Londres et du Kunsthaus de Zurich.
Au centre, un téléviseur ancien rappelle le matériel de l’époque, mais ce sont surtout les éléments posés au sol ou imprimés sur les parois qui attirent l’attention : les caisses en bois marquées “FRAGILE”, semblables à celles qui ont transporté les œuvres en 1956 et en 1961. La salle évoque, sans effet spectaculaire, la part matérielle et pragmatique de ces expositions : les chargements, les prêts, les transferts internationaux, et le travail d’équipe derrière l’accrochage.
Dans le calme de la salle, une voix enregistrée résonne, grave et mesurée : celle de Vincent, narrateur inspiré du maire Henri Mouret. Elle guide le visiteur comme un souvenir : « Il faut connaître Aix pour comprendre Cezanne ». Cette phrase, suspendue dans l’air, résume à elle seule l’esprit de 1956 : pour la première fois, le lien entre l’artiste et sa ville devient une question publique, exposée, débattue, mise en scène.
Un pavillon sous les projecteurs
À l’étage, un espace entièrement recouvert d’articles de presse. Les murs violets sont saturés de coupures de journaux datées des 15 et 16 août 1961 : Unes alarmistes, récits du vol, photos en noir et blanc, communiqués. Chaque fragment raconte un bout de l’affaire des huit Cezanne dérobés au Pavillon. Les articles, collés de façon très dense, créent une lecture éclatée où les informations se chevauchent : une manière assez efficace de restituer le chaos médiatique des jours qui ont suivi le vol.
Un petit téléviseur installé dans la salle diffuse un extrait du journal des actualités françaises d’août 1961. L’image tremble, la voix d’époque s’interroge : « Retrouvera-t-on les œuvres de Cezanne ? ». Juste à côté, un texte replace l’événement dans son contexte : l’exposition de 1961 elle-même. Plus modeste que la rétrospective de 1956, elle rassemblait environ soixante œuvres, dont une sélection importante de dessins rarement exposés.
En exposant ses propres archives, le Pavillon de Vendôme se met en scène comme objet d’étude : un lieu où se croisent la mémoire muséale, les politiques culturelles et la construction d’un récit commun.
Une mémoire rendue tangible
La dernière partie de l’exposition, animée par Stéphane, médiateur du Pavillon, propose une immersion en réalité virtuelle dans les salles de 1961 : « notre objectif est de comprendre ce que signifie “voir” une œuvre dans son contexte d’époque ».
Grâce à des reconstitutions précises, les visiteurs peuvent parcourir les cimaises d’origine et mesurer la portée visuelle d’un accrochage pensé il y a près de 70 ans. « Pendant quelques secondes, on y est vraiment », glisse un visiteur en ôtant son casque. Quelques secondes suffisent pour faire resurgir ces instants fondateurs : preuve que, même par le prisme des archives, à Aix, tous les chemins de la peinture ramènent à Cezanne.
Elina Ghez
