À 27 ans, Mugiwara fait partie du mouvement Gen Z à Madagascar, un collectif né d’une jeunesse connectée, engagée et résolue à refonder le pays. Elle incarne une génération évoluant dans un contexte marqué par de profondes inégalités et une corruption persistante.
Mugiwara a grandi à Madagascar dans le réseau assez élitiste de l’AEF (écoles françaises à l’étranger). Après son Bac en 2016, elle étudie en France, où elle obtient deux masters : un en gestion des organisations sportives à Toulouse, l’autre en intelligence économique à Marne-la-Vallée. En septembre 2025, elle retourne quelques mois à Madagascar pour réfléchir à son avenir.
La jeune femme milite dans le mouvement Gen Z, publiant régulièrement sur Instagram. Son engagement s’appuie aussi sur l’histoire transmise par sa famille : ses parents, anti-politiques et partisans, et ses grands-parents, engagés dans des sphères diplomatiques, lui ont transmis des valeurs fortes et une conscience historique profonde.
Ton histoire personnelle explique t-elle ton engagement politique ?
Je viens d’une minorité privilégiée, et c’est pour cela que je m’engage. Beaucoup n’ont ni la liberté ni les moyens de le faire. Madagascar est enraciné dans une histoire douloureuse : nos parents ont grandi dans la fin de la colonisation et la guerre d’indépendance, nos grands-parents ont connu la fuite et la persécution. Cette filiation forge chez les jeunes une sensibilité particulière à l’injustice et à la mémoire nationale. Certains vivent pleinement au XXIe siècle, comme moi, tandis que beaucoup d’autres vivent au Moyen-Âge, sans accès à l’électricité, souvent illettrés, parcourant parfois des kilomètres pour chercher de l’eau. Madagascar est un des pays les plus pauvres au monde, avec environ 80% de la population sous le seuil de pauvreté. Ce pays anciennement colonisé connait un développement décroissant, un système corrompu, et un accès limité à l’enseignement supérieur, ce qui pousse les plus ambitieux à partir étudier à l’étranger. Près de 60% des enfants commencent à travailler dès l’âge de 9 ans, les classes publiques sont surchargées avec parfois 70 élèves et un écart d’âge pouvant atteindre 10 ans dans une même classe. Le manque d’infrastructures et la corruption freinent les investissements et les perspectives.
Comment es tu entrée dans le mouvement Gen Z ?
La diaspora a joué un rôle crucial en donnant de la visibilité au mouvement sur les réseaux, dans un contexte où critiquer le pouvoir pouvait mener à la prison. Pendant des années, seule la diaspora ou les exilés politiques pouvaient s’exprimer librement. Le mouvement compte environ 250 membres actifs dans le monde, plus 4 000 militants proches, et une large audience sur les réseaux sociaux. Il rassemble des jeunes de tous horizons. Urbains, ruraux, diaspora, avec ou sans études. Pour ma part, j’étais en France quand les manifestations ont débuté. J’ai lancé une mobilisation internationale de la diaspora, rassemblant des Malgaches sur tous les continents. Nous avons créé un serveur Discord pour aider ceux sur place, fournir matériel, soutien financier et visibilité. Rapidement, le mouvement à Madagascar nous a contactés pour coordonner l’aide, les financements, et je suis devenue partie prenante des échanges au sein même du mouvement sur l’île.
Quelles sont les revendications ?
Le mouvement Gen Z à Madagascar ne regroupe pas toutes les luttes, mais vise à faire entendre toutes les revendications. Il ne se considère pas au dessus de toutes les luttes existantes, mais comme celui qui ouvre la porte pour que toutes soient reconnues par l’État et la société. C’est une lutte générale, systémique, contre l’appareil politique dans son ensemble. Une fois ce système assaini, les luttes pour l’égalité, l’éducation ou l’enseignement supérieur pourront être réellement prises en compte et des solutions durables apportées. Le mouvement souhaite une transition populaire et souveraine. Un gouvernement d’urgence a été mis en place après les manifestations. On leur laisse deux mois pour montrer leur bonne volonté. La priorité est l’organisation d’assises nationales rassemblant tous les Malgaches, à l’échelle des quartiers. Ces assises doivent produire une charte de transition, un plan clair pour une nouvelle gouvernance adaptée à Madagascar.
Selon toi, le gouvernement se préoccupe-t-il suffisamment des jeunes ?
Le gouvernement malgache des seize dernières années a été dirigé par un président sans diplôme, ancien DJ. Nous sommes dans la Troisième République malgache, mais notre Constitution est un copié-collé de la Constitution française, ce qui est inadapté. On y retrouve les mêmes institutions et même ce qu’on enseigne à l’école en français, alors que beaucoup de Malgaches ne parlent pas cette langue. C’est un héritage de la politique coloniale qui crée une fracture.
Il y a un vrai manque de reconnaissance et de dialogue de la part du gouvernement. On a l’impression que notre lutte est récupérée, alors qu’on ne cherche pas à faire partie du gouvernement. On veut juste qu’il respecte la vision qui a porté ce mouvement, qu’il prenne les moyens pour transformer le pays. On aimerait être conseillers, un appui pour lui. On a des rendez-vous avec certains ministres qui sont réceptifs, mais on attend toujours un dialogue avec le Premier ministre et le Président, qu’on appelle « Président de la refondation ».
Quelle est la particularité du mouvement Gen Z ?
Ce mouvement est inédit car il échappe aux codes des anciennes classes politiques. Beaucoup demandent des leaders, mais il n’y en a pas : l’objectif est de transformer les revendications populaires en actions concrètes, avec les outils propres à notre génération. Le fonctionnement est horizontal et collégial : chacun participe selon sa volonté, sans distinction de statut. Les grandes décisions sont prises par vote majoritaire. Une charte commune établit valeurs, principes et une feuille de route pour la transition. La coordination se fait principalement via Discord, où ont lieu aussi les votes. Le mouvement est structuré en pôles spécialisés (communication, relations publiques, logistique, finance) et organise ses actions par projets autonomes. Cette organisation souple et horizontale est sa force. Un peu comme une groupe d’influence qui mène des actions politiques et du lobbying auprès des institutions, ministères et députés.
Quelle place occupent les réseaux sociaux dans ta vie et comment les utilises-tu au quotidien ?
Pour les réseaux sociaux, je les utilise quasiment tous : Facebook, Instagram, TikTok, Snapchat, BeReal… Mais comme je suis un peu occidentalisée, c’est différent pour les Malgaches restés à Madagascar. Moi, j’utilise beaucoup BeReal et Instagram.
Pour le mouvement, on privilégie WhatsApp et Messenger pour les conversations immédiates. Pour nos échanges internes, on utilise Discord, avec des serveurs privés accessibles sur invitation, et Signal pour la messagerie instantanée. Discord est aussi ouvert à des milliers de personnes qui nous suivent. À l’échelle nationale, on est fédérés avec des antennes partout à Madagascar, et pour discuter avec eux, c’est souvent WhatsApp qui est utilisé.
Ta vision sur l’avenir du mouvement ?
À Madagascar, les inégalités sont profondes, et cela pousse les jeunes à se mobiliser pour l’égalité des droits, des chances, et des perspectives d’avenir. Le mouvement se développe avec la création de nouveaux pôles, notamment un bureau d’investigation, et s’organise à l’échelle nationale grâce à des antennes locales. Par ailleurs, il prépare les prochaines assises qui, après la transition politique, devront se concentrer sur des secteurs clés comme l’éducation, l’agriculture ou le tourisme. L’objectif est un développement global et harmonieux de Madagascar.
La Rédac ( Bettina, Emma, Elina, Marius, Virginie )
