© Dèlio Grach
En quelques jours, le stade Vélodrome a connu fierté et honte. Peu de temps après une communion historique avec les supporters grecs, l’ambiance était toute autre à l’occasion de la réception de Lyon. Certains supporters marseillais ont caillassé des bus, provoquant l’annulation de l’affiche du soir, “l’Olympico”. Retour sur une semaine haute en couleurs.
Le jeudi 26 octobre, vers onze heures, les premiers membres – et les plus anciens – des South Winners arrivent au local de l’association. On discute football en attendant la venue du reste du groupe. La journée s’annonce particulière pour eux puisque l’OM reçoit l’AEK Athènes. Les supporters des deux clubs sont liés d’amitié depuis plus de trente ans, notamment autour de la cause antifasciste, et pour la première fois, ils vont se rencontrer.
Aux alentours de quatorze heures, après avoir chargé tifos, pancartes et drapeaux dans des fourgons, direction le stade pour la centaine de fidèles chargés de préparer la tribune. Le travail est de taille pour les Winners : plus de 7000 “sets de tables” sont à placer sur chaque siège pour pouvoir créer un gigantesque dessin dans la tribune à l’entrée des joueurs.
Dans la ville, c’est une toute autre atmosphère. Plus d’un millier de Marseillais du “Commando Ultra 84” et des supporters grecs se sont rejoints Boulevard Rabatau pour se rendre ensemble au stade Vélodrome. La tête du cortège arbore une banderole aux couleurs des deux clubs. En son sein, l’ambiance entre Méditerranéens bat son plein, rythmée par de nombreux chants.
Le coup d’envoi approche. L’esplanade Bernard-Tapie est comble et bouillonne. Une excitation qui se ressent dans le stade, avant, pendant, et après le match. Au retentissement de “Jump” de Van Halen, les joueurs entrent sur la pelouse et le virage Sud fait part des préparatifs à l’ensemble de l’enceinte. Les supporters tiennent des cartons jaunes, noirs, bleus et blancs, fidèles aux couleurs des deux clubs, pendant qu’un tifo grandiose s’élève : deux supporters, grec et marseillais, dos à la pelouse, se tenant par l’épaule et levant le poing bien haut. Les 3500 grecs présents saluent cette initiative par de très nombreux applaudissements, scène rare dans un stade de football.
Le match prend alors place dans un contexte serein et une ambiance fraternelle entre les deux camps en tribune. Les Athéniens ne cessent d’animer leur parcage visiteur, en sautant tous en chœur de la première à la dernière rangée, faisant l’effet d’une vague jaune et noire. Les Marseillais, eux, entonnent la panoplie de chants bien connus des fidèles, dont le frissonnant “Aux armes” qui résonne dans toute la ville. La victoire marseillaise (3 buts à 1) ne semble alors qu’anecdoctique au vu du spectacle dans les tribunes. La communion de deux peuples autour d’un même sport est la consécration de cette soirée. Une récompense pour les groupes de supporters qui ont beaucoup œuvré pour rendre l’événement mémorable.
Toutefois, le soir du dimanche 29 octobre a rappelé ô combien ces moments sont chers quand les tribunes peuvent être confrontées à la bêtise de certains. Tout était prêt pour vivre une soirée d’Olympico parfaite : 500 supporters lyonnais sont autorisés à faire le déplacement, une première depuis 8 ans, et le stade Vélodrome affiche complet. Mais, vers 19h, la nouvelle tombe : le bus lyonnais a été caillassé à l’entrée du stade, deux vitres ont été brisées par des pavés et l’entraîneur, Fabio Grosso, et un membre de son staff, sont blessés. S’ajoute à cela l’attaque du bus des supporters rhodaniens. Cela se propage dans toute la tribune, et la rumeur de l’annulation du match prend de l’ampleur. Malgré tout, les chants ne cessent pas et les virages continuent de donner de la voix.
Seulement, ce soir, ce n’est pas uniquement le comportement de certains Marseillais qui est à déplorer. Dans leur parcage visiteur – fraîchement quitté par l’amour et le respect des supporters grecs – une grande partie des supporters lyonnais engage les hostilités. Bien qu’un gigantesque filet les protège (ou les sépare), ils provoquent les Marseillais et leur traditionnelle culture cosmopolite en effectuant des gestes inqualifiables : saluts nazis, cris de singe, exhibitions de passeports… Certains grimpent même au filet pour essayer d’atteindre leurs rivaux plus bas.
Alors, à quelques dizaines de minutes du coup d’envoi, un message s’affiche sur les écrans du stade et la voix du “speaker” résonne : “Chers supporters, le match n’aura pas lieu ce soir”. S’ensuit une bronca remplie de déception. Rachid Zeroual, président des South Winners s’adresse alors au virage Sud : “On a tout fait pour que les Lyonnais puissent venir pour pouvoir ensuite aller chez eux, malheureusement certains se sont attaqués aux cars. Ces individus pourrissent les groupes de l’intérieur.”
Les réactions sont alors différentes. Patrick, 61 ans et membre des South Winners est “avant tout déçu du comportement de ces supporters, j’ai en premier lieu une pensée pour les personnes qui travaillent pour l’animation des tribunes. La bâche d’aujourd’hui fait 100 mètres de long et a nécessité près de trois semaines de préparation. Ce soir, le travail de ces dizaines de personnes ne sera pas récompensé à cause des actes de ces pseudos supporters”.
Dans l’autre virage, situé à proximité des Lyonnais, Raphaël, 20 ans, explique que “si le match n’avait pas été annulé, il aurait sans doute été arrêté du fait du comportement des visiteurs. Je ne sais pas si ce n’est pas mieux ainsi”.
Alors que la foule sort petit à petit de l’enceinte sportive, Quentin et Clément, deux jeunes supporters des “Ultras” font la part des choses : “On ne peut pas dire que ces personnes-là soient des supporters, ils nuisent au club et au rayonnement du football français en général. C’est un scandale et on espère sincèrement que les sanctions seront au niveau de leur bêtise”.
En attente du métro, Roger, 45 ans, était venu de Suisse pour faire découvrir le stade Vélodrome à son fils de 9 ans, en pleurs sur le chemin du retour : “ Ce soir je suis plus en colère que déçu. Ces individus privent 65000 personnes de spectacle par leurs actes honteux. Nous avons fait plus de 400 km pour assister à ce match et ce qui devait être une fête est gâché par des abrutis”.
Ainsi, la violence des uns et l’extrémisme des autres a brutalement fait oublier la beauté du précédent spectacle fraternel.
Dèlio Grach