© Jeanne Dumas
Sous les projecteurs depuis le début de la crise du Covid, l’hôpital public et ses problématiques occupent les débats politiques depuis déjà bien des années. Manque de moyens, sous-effectifs des équipes, nouvelle gouvernance de l’hôpital… autant de causes qui éloignent les soignants du secteur.
« Qu’il y ait des postes vacants, c’est complètement inédit » déplore Alexandre, psychologue exerçant depuis 23 ans à l’hôpital public du Havre. Deux ans après le plan d’urgence lancé par Emmanuel Macron pour sauver l’hôpital, l’attractivité du secteur continue de s’essouffler. Il manque au moins 17 psychologues au groupe hospitalier du Havre. « Beaucoup de gens ne restent pas longtemps, changent de poste, ou quittent la fonction publique » surenchérit Géraldine, collègue et épouse d’Alexandre.
Du côté des praticiens de demain, le secteur n’attire que peu. Surmenés, de plus en plus d’étudiants en médecine confessent préférer se diriger vers le privé. « Dans le public, l’organisation est trop administrative et les horaires sont souvent imposés avec des obligations de gardes régulières. Ça devient difficile d’avoir une vie privée à côté, d’autant que le salaire n’est pas très élevé » détaille Romane, étudiante en troisième année de médecine à l’Université de Caen (Normandie).
Des causes variées
Dénoncées de manière récurrente par les praticiens du secteur, les politiques de privatisation de la santé, pour un partage des soins entre les domaines publics et privés, dénaturent l’hôpital. Ce qui rend les conditions de travail difficiles. En règle générale, des lits et des dispensaires de quartiers, proches de la population, sont fermés chaque année. « C’est un cercle vicieux » constate Alexandre. « On met moins de moyens dans l’hôpital, qui fonctionne moins bien, et donc la clinique marche mieux. Et c’est effectivement le cas car elle ne s’occupe pas des cas les plus compliqués, qui reviennent à l’hôpital, qui donc marche moins bien, etc ». Les soins les plus complexes peuvent néanmoins être motivants pour les soignants. Romane, qui souhaite approfondir son expérience, aimerait exercer ponctuellement à l’hôpital malgré tout : « c’est là-bas qu’on voit les cas les plus intéressants ».
Au-delà des coupes budgétaires, l’organisation des structures a évolué. La nouvelle gouvernance de l’hôpital mise en place en 2009 en est la principale cause. Selon Géraldine, ce réaménagement participerait du manque d’attractivité de l’hôpital : « Avant, les services étaient chapeautés par les médecins, qui étaient vraiment partie prenante dans la gouvernance des hôpitaux. Ils avaient un poids, un pouvoir, et étaient respectés. Aujourd’hui, seuls les administratifs gèrent l’hôpital ».
Parmi les réformes destinées à augmenter le nombre de soignants, on compte celle de la PACES (Première Année Commune aux Études de Santé). La réponse à la pénurie de personnel en perspective n’est toutefois pas si simple. « Le nombre de places en médecine n’est pas pour autant élargi avec la réforme. Au final, on ne forme pas plus de médecins qu’avant » regrette Romane.
Des valeurs qui restent malgré tout un socle
Beaucoup de praticiens font toutefois le choix de rester dans le domaine public. « Les conditions, même si elles sont dures, ne nous font pas souffrir au point d’aller voir ailleurs. On y trouve plus d’avantages que d’inconvénients et le travail nous plait toujours autant » sourient Alexandre et Géraldine. « L’hôpital, c’est un peu tout public, tout problème, tout âge. C’est un accueil inconditionnel, qui est toujours l’une de nos valeurs. Les gens peuvent venir consulter directement sans payer, simplement en montrant leur carte de sécurité sociale. Mais même s’ils sont sans papiers, on va les soigner : c’est une des belles choses de la France que d’avoir encore cette possibilité ». C’est ce socle de valeurs qui continue à donner du sens à leur profession, même s’il fait débat, surtout à quelques semaines de la présidentielle.