Dimanche 21 septembre, au Moulin Saint-Pierre des Taillades, dans le Vaucluse, l’événement « Au bonheur des jardiniers » réunissait passionnés de nature et de patrimoine. Parmi les exposants, Le Jardin de Nathalie  a marqué les esprits avec son parcours singulier : ancienne bio-esthéticienne devenue agricultrice, elle cultive rosiers et verveine pour inventer une nouvelle manière de relier agriculture, cosmétique et gourmandise. 

« Je voulais dépoussiérer l’image du bio ; le rendre vivant, joyeux, coloré. » Derrière cette ambition se dessine le parcours de Nathalie, qui commence à 25 ans dans un magasin de coton biologique tenu avec ses parents. L’activité, pionnière en France, repose sur des importations d’Allemagne et de Grèce.

« J’ai toujours eu ce désir de planter, mais il fallait d’abord comprendre la matière, son origine », détaille-t-elle. Cette première expérience installe une exigence qu’elle n’abandonnera jamais : remonter à la source.

Diplômée en soins du corps et en somatothérapie (Ndlr, approche thérapeutique qui associe le corps et l’esprit), l’agricultrice travaille des ingrédients bruts, tels que le riz, la poudre d’amande et le miel, avant de se perfectionner auprès de l’Américaine Sheila Gray, pionnière des émulsions naturelles en France. Elle ouvre un institut à Biarritz, assure des formations en magasins bio, puis déploie “Biotifoule”, un camion publicitaire utilisé pour ses tournées locales. Derrière le jeu de mot, l’intention est claire : faire du bio un rendez-vous populaire, convivial et sans artifice, qui attire la foule.

La découverte d’un champ de roses dans les Cévennes agit comme une révélation. À Grasse, la passionnée échange avec des producteurs. À Forcalquier, une pharmacienne spécialisée dans les huiles végétales l’initie aux hydrolats (Ndlr, eaux aromatiques obtenues après distillation d’ingrédients d’origine naturelle) et macérations. 

Puis, dans une Biocoop, où elle travaille quelque temps, elle constate la distance entre l’idée de naturalité et les listes INCI (Ndlr, nomenclature internationale des ingrédients) à rallonge. « Les clientes ne se retrouvaient pas dans ce bio trop transformé. Moi, je voulais revenir à quelque chose de plus simple, plus proche de la plante ».

“Je n’avais jamais planté une salade. Aujourd’hui j’ai près de cinq cents rosiers.”

Elle songe à des études agricoles, mais le confinement interrompt le projet. Nathalie se lance autrement : un jardin de mille mètres carrés, avant qu’un hectare ne lui soit finalement confié par la mairie de L’Isle-sur-la-Sorgue. Elle déplace ses rosiers à la main, récupère les drageons pour multiplier les plants. Pas de tracteur, seulement une tarière. « Je fais tout toute seule : planter, tailler, cueillir, distiller », insiste-t-elle. Aujourd’hui, environ 500 rosiers de Damas composent sa roseraie.

Au fil de ses formations et de ses rencontres, une idée s’impose : reprendre des techniques anciennes pour les faire circuler entre deux usages. Distillation venue du Moyen-Orient, onguents et huiles infusées déjà employés à l’époque de Cléopâtre. Ses hydrolats et huiles, minimalistes et concentrés, trouvent place aussi bien dans un flacon de soin que dans une pâtisserie.

Photos par Elina Ghez

“Le même hydrolat peut apaiser la peau et parfumer une guimauve.”

À Pernes-les-Fontaines, l’agricultrice a amorcé une collaboration avec Clarita, une petite pâtisserie artisanale qui travaille des gourmandises allégées en sucre. L’accord est simple : Clarita pourra façonner pour elle, dans son propre laboratoire, les recettes imaginées à partir de ses hydrolats. « Je fournis la matière et les pistes, elle s’occupe du façonnage, ce qui me permet de rester dans les clous et d’être en règle. » Les essais en cours portent sur des meringues et des guimauves ; la ligne visée inclut des biscuits et pralines. La pâtisserie fraîche est écartée pour l’instant — « je n’ai pas le turnover ni la chaîne du froid », regrette-t-elle. À la place, elle propose des produits stables, plus simples à commercialiser et conserver. 

Dans une Biocoop, un pâtissier avait déjà réalisé des choux à la crème à la rose, « une merveille », se souvient-elle. Pour la suite, Nathalie rêve d’approcher des glaciers ou encore des chefs étoilés, même si le coût d’un hydrolat artisanal refroidit encore certains.

Le modèle de Nathalie reste fragile. Pour dégager un salaire, il lui faudrait environ 3 000 euros de ventes mensuelles. “Les contraintes financières sont énormes : les labels coûtent trop cher, les aides ne sont pas accessibles à 55 ans.” Aujourd’hui, elle s’en sort grâce à un RSA de 473 euros, qu’elle a dû défendre avec l’appui de la Confédération paysanne et de Solidarité Paysanne. Les labels bio (AB, Ecocert, Nature & Progrès, Cosmos) restent trop coûteux pour une petite exploitation. Les discours marketing des grands groupes saturent le marché de naturalité de façade, selon l’entrepreneuse qui dénonce notamment les reconditionnements d’hydrolats importés et revendus en France sous une fausse origine.

Ni course aux volumes, ni chasse aux labels, sa logique se veut méthodique : distiller peu, valoriser double. Le point décisif tient à l’opérationnel : standardiser les recettes, cadencer récoltes et co-fabrication, assurer une présence régulière qui capte le clic. À cette condition, le modèle gagnera en stabilité et ouvrira la voie à une montée en puissance. 

Elina GHEZ