La Cravate Solidaire, 57 Rue Bernard du Bois, 13001 Marseille V.S

 

Alors que le gouvernement lance une vaste étude sur les discriminations à l’embauche, l’association La Cravate Solidaire Marseille poursuit, elle, son travail de terrain. Entre coaching, simulations d’entretien et sensibilisation des recruteurs, elle aide chaque année plus de 700 candidats à surmonter les obstacles liés à leur apparence, leur origine ou leur parcours.

3000 CV fictifs. C’est le nombre de candidatures qui seront envoyées à l’automne prochain dans le cadre d’une grande étude gouvernementale annoncée le 22 mai dernier par Aurore Bergé, ministre en charge de l’Égalité entre les Femmes et les Hommes et de la lutte contre les discriminations. L’objectif : mesurer l’ampleur des discriminations à l’embauche selon le prénom, le nom de famille, l’adresse ou le sexe.  « 26 critères de discrimination sont déjà reconnus par la loi et étudiés chaque année par le Défenseur des droits », rappelle Mathieu Delot, directeur de La Cravate Solidaire à Marseille. L’ association, qui lutte contre les discriminations à l’embauche, notamment physiques, existe depuis 13 ans au niveau national : « on a créé l’association à Marseille en 2022, il y a bientôt 4 ans ». Grâce à ses 15 antennes sur l’ensemble du territoire français, 15 000 personnes sont aidées chaque année. 

Les discriminations à l’embauche peuvent être liées « à l’origine supposée, au lieu de résidence, à la vulnérabilité économique ou à une supposée race – bien supposée, parce que dans le cadre scientifique, les races ne sont pas reconnues au niveau scientifique. (…) Par exemple, les personnes d’origine maghrébine se sentent plus discriminées ». L’association se concentre sur l’emploi, mais il y a tout un sujet aussi pour l’accès aux services publics et privés : « que ce soit aller acheter son pain, accéder à la sécu, aller à la piscine… les discriminations sont malheureusement présentes dans de nombreuses situations ».

 

Trois étapes pour restaurer la confiance

La Cravate Solidaire intervient auprès des demandeurs d’emploi pour lever les discriminations qu’ils ont intégrées, liées à l’apparence et à la confiance en soi. « En une après-midi, on organise une dizaine de coachings ». L’accompagnement se déroule en trois étapes . D’abord, des bénévoles aident les participants à choisir une tenue professionnelle parmi des vêtements neufs ou de seconde main, issus de dons de particuliers ou de marques. La tenue leur est offerte. Ensuite, vient l’heure de la simulation d’entretien, encadrée par des professionnels des ressources humaines. Ils posent des questions types, conseillent sur la posture, le discours et l’attitude, puis rédigent une fiche d’évaluation envoyée au conseiller France Travail pour un suivi. Enfin, les participants passent par un studio photo pour réaliser un portrait professionnel.

 

Sensibiliser les recruteurs

Parallèlement, l’association sensibilise les recruteurs, RH et managers via des ateliers et des outils pédagogiques, comme une fresque de déconstruction des discriminations, afin de faire évoluer les pratiques de recrutement.

Depuis 2001, c’est au recruteur de prouver qu’il n’est pas discriminant dans son processus d’emploi. Cette évolution du droit – appelée inversion de la charge de la preuve – « a été une belle évolution de la loi qui, aujourd’hui, est peut-être trop peu testée, mais qui a le mérite de pouvoir potentiellement influencer notamment les grosses entreprises, et les inciter à mettre en place des politiques de diversité et d’inclusion ».

Mais pour Matthieu, « ce qui est malheureusement inscrit dans la loi n’est pas encore toujours mis en application  ». En effet, chaque entreprise de plus de 300 salariés a normalement pour obligation de former ses équipes RH à la non-discrimination. « Aujourd’hui, c’est encore trop peu mis en œuvre, vérifié et contrôlé ». 

 

Et l’intelligence artificielle ? 

Confier la sélection des CV à l’intelligence artificielle pourrait également constituer une avancée : « l’IA respecte un certain script ou un certain code qui lui est donné ; donc, si on lui donne un code basé sur les compétences et sur les attendus d’une fiche de poste, elle va pouvoir s’y conformer ». Mais le directeur modère: « même si l’IA part des expériences et des compétences, les personnes qui ont été victimes de discrimination le sont depuis l’ école maternelle, si ce n’est avant. Potentiellement, elles auront moins de réseau, moins de stages, moins d’expérience préalable, ce qui fera qu’au moment d’être sélectionnées ou non sur un CV, elles seront peut-être moins retenues par une IA qui se basera uniquement sur les expériences précédentes  ». 

Il reste difficile de tout changer dans la société du quotidien : « On est tous un peu formatés à aller vers les personnes qui nous ressemblent. C’est cela qu’il faut déconstruire : ces biais cognitifs qui doivent être dépassés par la formation et la pédagogie, mais cela prend du temps ».

 

Virginie Schadler