Capture d’écran ©Magistère DJC
Grand succès de Claude Lelouch, « Itinéraire d’un enfant gâté » retrace la vie de Sam Lion. Le film, sorti en 1988, fait l’éloge d’un homme qui, à première vue, a réussi sa vie. En réalité, lassé de son quotidien, Sam orchestre sa fausse disparition en mer pour se retrouver seul et voyager sans aucune contrainte. Mais à côté de cette vie professionnelle acharnée, Sam est aussi un époux divorcé et le père de deux enfants. Si les personnages du cercle familial du protagoniste sont peu développés, l’un d’eux retient cependant l’attention du spectateur : Victoria, fille adorée de son père, au comportement d’enfant à qui l’on cède tout. Victoria, comme les célèbres chutes du fleuve Zinèbe. Victoria, qui donnera son nom à la société de Sam. En quelques minutes à peine, la relation privilégiée entre la fille et le père prend toute la place à l’écran quitte à occulter totalement le lien entre Sam et son fils, Jean-Philippe, qui se contente d’un second rôle dans le film et dans la vie de son père.
Mon père, ce héros
« Papa, si je le pouvais, je t’épouserai » susurre Victoria avant d’esquisser un sourire rêveur. Relation malsaine ? Non, plutôt le parti pris de Claude Lelouch de dépeindre, sur grand écran, les contours du concept philosophique d’Electre, héroïne grecque éponyme qui a tué sa mère pour venger son père. Théorisée par le philosophe Jung, cette pensée vise à expliquer l’adoration des petites filles pour leur figure paternelle, dès le plus jeune âge, comme son plus célèbre équivalent masculin, le complexe d’Œdipe, développé par Freud. Dans son film, le réalisateur ne perd pas une occasion d’illustrer cette tendance chez la jeune femme. Elle porte les habits et chapeaux de son père à partir de sa fausse disparition. Elle revêt à son enterrement un pull enfantin orné d’un clown, qu’il lui avait offert. Elle l’imagine vivre à ses côtés tous les jours, des étoiles plein les yeux et semble bien incapable de faire son deuil. Lorsque que Sam revient à quelques kilomètres de sa famille grâce à son pacte avec Al, un de ses anciens salariés qui l’a reconnu pendant l’un de ses voyages, la seule personne qu’il souhaite voir est Victoria. Elle est d’ailleurs la seule à percer le secret de sa cachette et à lui rendre visite par la suite. Pour ce qui est de son ex-femme ou de son fils, Sam est mort à leurs yeux pour toujours. Trop occupé à vivre, respirer et rêver Victoria.
Pour s’assurer que sa fille ne manque de rien, Sam pousse son fidèle complice Al dans les bras de Victoria. Une fois sa fille dans les bras d’un homme qu’il estime et respecte, Sam peut partir explorer, à nouveau, des contrées lointaines, l’esprit tranquille.
« Pour être parent, il faut cesser d’être un enfant »
Si le réalisateur ajoute un dernier clin d’œil à Electre en donnant le prénom Sam au premier enfant de Victoria, il n’en reste pas moins que cette dernière, devenue femme mariée et mère de famille change tout à coup d’allure et de comportement. Terminés les trenchs trop grands de papa, place au chignon impeccable et aux manteaux cintrés. Epanouie et sûre d’elle, Victoria se révèle en perdant son air gauche de fille à papa. Itinéraire d’un enfant gâté est finalement également l’itinéraire d’une jeune femme qui parvient à s’affirmer et devenir une personne à part entière confirmant ainsi les mots du philosophe Jung : « pour être parent, il faut cesser d’être un enfant. »
Colombe Laferté