© Colombe Laferté
Depuis juin dernier, les greffiers de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ont exercé à de nombreuses reprises leur droit de grève. Ils dénoncent la charge croissante de tâches à réaliser, la dégradation des conditions de travail et les évolutions contestées du statut de greffier. Entretien avec Nicolas Favard, délégué du syndicat Union Force Ouvrière Justice pour la Cour d’appel d’Aix.
Tout commence en juin dernier, lors des négociations statutaires des greffiers. A cette occasion, la direction des services judiciaires (DSJ) et le garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, présentent un projet de nouvelle grille indiciaire nommée la CPIP. Elle propose notamment un reclassement à l’indice des greffiers, qui perdent ainsi des années d’ancienneté. Cette « injustice » n’est pas la première selon Nicolas Favard, délégué de FO Justice : déjà en 2014 et 2017, les greffiers ont subi ce type de régression dans leur carrière professionnelle. La Cour d’appel de Montpellier est la première à monter au créneau, puis « cela a mis le feu aux poudres » explique le greffier, en poste depuis 2019. Le 3 juillet, un grand nombre des 250 greffiers de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence se réunit pour dénoncer leur situation difficile et leur souffrance dans un contexte croissant de dégradations des conditions de travail. La grève – ou plutôt « justice morte » – est suivie par près de 45% des effectifs du ressort de la cour d’appel d’Aix, englobant les juridictions de Carpentras à Menton et pour toutes les catégories de fonctionnaires (comme les magistrats par exemple). Par la suite, durant tout l’été, les grévistes, sous le mouvement asyndical nommé « greffiers/greffières/en colère » ont continué d’enrayer la machine judiciaire en empêchant tous les procès d’avoir lieu une fois par semaine.
«Il y a vraiment des dysfonctionnements à tous les étages»
Le principal problème dénoncé est le manque d’effectif. Le taux d’absentéisme au sein des murs de la juridiction judiciaire de seconde instance est d’environ 17%, soit plus du double de la moyenne nationale. Burn-out, départs en détachement, démissions, arrêts maladie, « on est la Cour d’appel où il y a le plus d’arrêts maladie » s’insurge Nicolas Favard. Et pour cause, ce manque d’effectif entraîne une charge de travail accrue pour les greffiers présents qui réalisent un travail essentiel lors des procès. En guise d’exemple, pour les audiences de rétentions administratives, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence n’a plus de magistrat, et plus aucun des trois greffiers. Ainsi, les agents de la fonction publique se succèdent pour que justice soit faite. Les greffiers signalent également un manque de temps pour préparer les audiences, des décisions rédigées qui ne sont pas notifiées par la suite et une accumulation du travail administratif non traité. « Il y a vraiment des dysfonctionnements à tous les étages » résume le syndicaliste délégué.
Nicolas Favard, délégué du syndicat Union Force Ouvrière Justice de la Cour d’appel d’Aix et greffier – © Colombe Laferté
En dehors de ce manque de personnel, le manque de qualification des nouveaux recrutés inquiète. Le quota de recrutement du concours pour devenir greffier a été fixé à 1800. En réalité, « ils prennent tout le monde ». « Désormais, il y a trois concours par an, contrairement à deux auparavant. Seul un tiers des candidats vient … le reste est vide ». La jeune génération, consciente des difficultés du métier, favorise les concours menant à des professions plus valorisées. « C’est sûr que ce n’est pas la justice qu’on vend lors de la Nuit du Droit » déplore Nicolas Favard. De même, le concours nécessite un niveau Bac+2. Cela ne correspond plus au monde universitaire qui propose aujourd’hui une majorité de cursus de 3 ans ou plus. Alors, le ministère de la justice se tourne vers des vacataires et des contractuels : « Des sucres rapides comme s’en vante Eric Dupont-Moretti » faisant référence au personnel embauché rapidement pour urgence. « On forme ces gens, qui ne restent même pas».
Des réponses apportées au fur et à mesure
Forts de nombreuses contestations au niveau national, les greffiers ont commencé à faire entendre leur voix. En septembre, de nouvelles négociations se sont tenues, et pour l’Union Force Ouvrière Justice, qui s’est désolidarisée de la grève en juillet, les avancées sont nombreuses et, dans l’ensemble, satisfaisantes. Plus grosse revendication, la grille indiciaire en projet a été finalement mise de côté : « Selon nous [FO], nous avons eu gain de cause ». L’objet initial des contestations a perdu la partie. Si les indices des grilles étaient inférieurs de 13% pour les greffiers par rapport à leurs collègues de la catégorie B de la fonction publique, ils ne le seront plus que de 1% désormais, quand les textes seront mis en pratique. Autre nouveauté, 3200 greffiers accèderont à la catégorie A, sans concours, grâce à la création d’un nouveau corps de métier et les catégories C « faisant fonction de » vont pouvoir devenir greffiers sans retourner à l’école et sans déménager.
Ainsi, les choses bougent, doucement, certes, mais sûrement. Si l’Union Force Ouvrière Justice se dit satisfaite, certains greffiers pointent du doigt la stagnation des mauvaises conditions de travail. Mais selon Nicolas Favard, « le mouvement de grève s’essouffle. Il n’est pas syndicalisé, n’a pas de représentant, ni d’élu ». Plus qu’une grève de la profession, le greffier regrette une problématique plus structurelle : « c’est la fonction publique, en général, qui souffre ».
Colombe Laferté