Prenant le contre-pied des selfies qui abondent sur les réseaux sociaux, l’argentique a la côte dans l’univers de la photographie. Ce phénomène n’est en réalité pas nouveau.

Dans le vieux Lyon, Les Ateliers de Marinette sont devenus un incontournable dans la revente de matériel de photographie argentique. Cette technique est un processus chimique où l’on expose une pellicule à la lumière, on la développe, et éventuellement on la tire sur papier. Les habitués connaissent l’adresse. Les curieux s’arrêtent forcément, intrigués par la vitrine. Cette boutique a été créée par Thibault et son père, qui est brocanteur. Une affaire de famille pour un magasin rempli de divers objets vintages. La photographie argentique contribue à la renommée des Ateliers de Marinette depuis 2016.

La boutique lyonnaise propose une sélection d’appareils photo reconditionnés et un large choix de pellicules des plus originales aux plus anciennes. Le magasin déniche ces perles rares chez des collectionneurs ou des brocanteurs qui écoulent leur stock. Leur plus-value ? Les équipes s’occupent de tester pour vous et de réviser si besoin le matériel. Cela offre la garantie que tout fonctionne. Aux Ateliers de Marinette on conseille avec plaisir les clients. Un suivi qui s’avère utile pour les nouveaux et nombreux apprentis photographes.

L’argentique recadre le marché de la photographie

Deux experts nous expliquent l’engouement actuel autour de cette technique photographique.

L’argentique meilleur que le numérique ? La photographie numérique et argentique se distinguent, mais restent complémentaire. « Ce n’est pas mieux, c’est juste différent. Le numérique est très pratique et a apporté beaucoup. Il a permis de l’instantanéité, de l’accessibilité et de la souplesse », estime Rémy, photographe et vendeur aux Ateliers de Marinette. « L’argentique apporte une appréhension différente de la photographie. On va y mettre plus d’attention et d’intention car les photos sont comptées. Une pellicule permet jusqu’à 36 poses », résume le Lyonnais.

Le marché de la photographie argentique connaît un regain d’intérêt en ce moment, mais ça n’a pas toujours été le cas. « Il y a eu un gros creux, mais cela fait quelques années que c’est revenu à la mode », affirme Nicolas vendeur chez Provence Photo Vidéo, une boutique du centre-ville d’Aix-en-Provence. Parfois l’offre de pellicules n’arrive cependant pas à suivre cette hausse de la demande. « Les normes évoluent et les matières premières s’amenuisent, explique Rémy. Si Fujifilm cherche plutôt à se développer sur d’autres secteurs, Kodak arrive encore à signer des contrats et cherche à faire grandir sa production de films argentiques. »

« Quelqu’un qui a 20 ans, qui n’a jamais tenu un appareil argentique entre ses mains, pour lui, c'est un peu magique »

La photographie argentique a regagné en notoriété grâce à une nouvelle génération de clients. « Cette technique est maintenant utilisée par des jeunes, de 15 à 30 ans », estime le salarié des Ateliers de Marinette. « Les personnes de plus de 40 ans ne repasseront pas sur l’argentique car ils ont vécu l’évolution, le pas en avant qu’a permis la photographie numérique », précise Nicolas. « Quelqu’un qui a 20 ans, qui n’a jamais tenu un appareil ou une pellicule argentique entre ses mains, pour lui, c’est un peu magique. »

Les boutiques spécialisées arrivent à tirer leur épingle du jeu. « Les clients viennent chercher un avis d’expert. Avec le marché en ligne la concurrence en termes de prix est rude. Alors ils demandent surtout un conseil », affirme Nicolas. De plus en plus de personnes se forment seules et en ligne. Une révolution numérique dans le monde de l’argentique.

Entretien : Quand un appareil retrouvé dans un placard permet à Maxime Visticot de devenir une des références sur l’argentique à Lille

Maxime Visticot étudie la communication à Lille en quatrième année à l’EFAP. Sa véritable passion reste la photographie. Il rencontre le succès sur les réseaux sociaux.

Vous ne faîtes pas partie de la génération qui a grandi avec la photographie argentique. Alors, comment avez-vous débuté cette pratique ?

De base je faisais uniquement de la photographie numérique. Mais un peu après le premier confinement j’ai commencé l’argentique. Mon père avait un boitier et il l’a toujours gardé. Il trainait dans un placard depuis une dizaine d’années. J’ai été curieux. Je voyais beaucoup de monde sur les réseaux sociaux commencer à refaire de la photographie argentique. J’aimais bien, mais je me disais ce n’était pas pour moi. D’autant plus qu’au début je ne comprenais pas trop cet engouement car cela représente un certain budget. Je me suis laissé tenter. Je suis allé acheter une pile, une pellicule à Auchan et j’ai redémarré l’appareil de mon père. J’ai véritablement accroché !

Avez-vous directement réussi à maitriser cette technique ?

Au début ce n’était pas top ! Je ne connaissais pas trop la technique. Mes photos n’étaient donc pas folles. J’ai appris au fur et à mesure en pratiquant. Je suis un autodidacte. La photographie numérique aussi je l’ai apprise sur le tas. Je me suis renseigné en suivant des tutoriels et en lisant des articles en ligne quand je rencontrais un problème. Je trouvais toujours mes réponses sur internet, notamment sur YouTube. Cela me permettait de comprendre pourquoi mes photos n’allaient pas et comment je pouvais les corriger. Même encore aujourd’hui j’en apprends tous les jours car c’est en pratiquant qu’on s’améliore.

Qu’est ce que vous aimez dans la photographie argentique ?

L’approche est différente du numérique. Tu prends ta photo. Tu ne la vois pas tout de suite. Tu la découvres quelques temps après. C’est un peu comme retrouver des souvenirs de quelques semaines en arrière. Aussi, j’aime un peu tous les styles. Mais ce que ce qui me passionne le plus c’est la photographie de rue. Capter des instants de vie, jouer avec l’environnement, l’ambiance ou encore la météo. Le voyage, c’est le paradis ! Tu découvres des paysages que tu n’as pas l’habitude de voir. Tu as envie de tout prendre en photo.

Quels investissements financiers avez-vous réalisé pour pratiquer la photographie argentique et n’est-ce pas un budget trop important ?

J’ai acheté plusieurs appareils et objectifs depuis. J’ai toujours celui avec lequel j’ai débuté. Il fait de beaux rendus. J’aime avoir plusieurs pellicules engagées dans différents boitiers, afin de pouvoir utiliser des films adaptés à toutes les situations, aussi bien le soir que la journée. Forcément cela représente un certain budget. Cela ne me dérange pas de mettre de l’argent là-dedans, car j’apprécie vraiment la photographie argentique. Je ne pourrais plus m’en passer maintenant. J’ai rapidement fais le choix d’investir dans un scanner afin de supprimer le coût de la numérisation. Maintenant je n’ai plus que celui du développement en laboratoire, une dizaine d’euros par pellicule. Scanner moi-même prend beaucoup plus de temps, mais j’y gagne financièrement et je me sens plus libre.

Comment avez-vous professionnalisé votre travail et que proposez-vous en tant que photographe ?

Cela fait presque deux ans que je pratique la photographie de manière professionnelle. J’ai créé mon auto-entreprise car je commençais à faire des prestations pour des événements, comme des soirées d’entreprise, et j’avais envie de vendre des tirages. J’utilise le numérique pour tout ce que je ne peux pas faire à l’argentique, car il faut souvent réaliser une centaine de photos. Par exemple, j’ai couvert les TEDx Roubaix en octobre. Sur ma boutique en ligne, je revends des impressions de mes photographies argentiques. C’est principalement cet aspect que les gens apprécient.

Vous êtes présents sur les réseaux sociaux. Comment utilisez-vous ces plateformes pour mettre en avant votre travail ?

J’aimais bien suivre des photographes sur les réseaux sociaux, donc je me suis mis à faire la même chose. Il y a une grande communauté, notamment sur Twitter. Au départ, je postais mon travail car j’en étais content et je souhaitais le montrer. À Lille beaucoup de personnes ont commencé à me suivre. Je me suis vite vu devenir une référence dans l’argentique, alors que je débute seulement ! Je partage mon travail et j’aide ceux qui veulent se lancer.

« Avec l’argentique tu ne fais jamais deux fois la même photo »

Photographe professionnel à Bordeaux, Jérémie Mazenq évoque son amour pour la photographie argentique.

Jérémie Mazenq a toujours baigné dans l’univers de la photographie. Son père avait installé un laboratoire argentique dans la maison et mis très tôt un appareil dans les mains de son fils. La photographie est longtemps restée un hobby, pour le plaisir et s’amuser. Jérémie devient ingénieur du son et commence à travailler pour la télévision et le cinéma. A 25 ans, le jeune homme quitte Paris pour Bordeaux. En dehors de la capitale, les opportunités professionnelles se font moins nombreuses. Jérémie dispose de davantage de temps libre pour la photographie.

« On ne peut pas dire que l’argentique c’est mieux que le numérique, c’est juste différent. Et l’argentique correspond plus à ma manière de photographier. Ça me plaît plus. C’est beaucoup plus lent. Tu fais moins de photos. Tu réfléchis plus. Tu fais plus attention à l’environnement qui t’entoures. Tu prends ton temps. Tu profites plus du moment. Tu choisis vraiment ce que tu veux photographier. Tu ne fais pas deux fois la même photo. Tu découvres le résultat plus tard. »

« De fil en aiguille ça a pas mal pris », explique celui qui est devenu photographe professionnel. Il ouvre son premier studio à Bordeaux en 2011. Aujourd’hui, à 38 ans, la passion reste la même. « La question s’est posée de faire uniquement de la photographie, de retourner dans l’audiovisuel ou de garder les deux. » Jérémie choisit la dernière option et cumule maintenant les deux activités. « Je peux choisir les projets qui m’intéressent le plus. » Il dispose du statut d’auteur photographe et travaille donc au gré de ses envies et de ses idées. « Je gagne plus ma vie avec la photographie numérique pour des publicitaires, mais ça me permet d’avoir plus de temps libre pour l’argentique et un travail plus artistique. »

Pour aller plus loin : conseils de professionnels pour débuter

Vous hésitez encore à vous lancer dans la photographie argentique ? Voici quelques conseils pour débuter.

Rémy Badout : L’argentique n’est pas inaccessible

« Il y a une idée reçue comme quoi on ne peut plus faire développer. C’est pourtant possible car il y a toujours pleins de laboratoires qui développent les films argentiques pour environ 10 euros. J’entends souvent : l’argentique coûte cher. En réalité, le rapport qualité prix est très bon. Par exemple, pour 300 euros on peut acheter un boitier professionnel qui prend de très belles photos et qui dure dans le temps, car c’est mécanique donc réparable. Pour avoir cette qualité avec un boitier numérique, il faudra débourser jusqu’à 3 000 euros. »

Maxime Visticot : Il faut se former sur les bases de la photographie avant de pratiquer l’argentique

« Généralement quand on veut commencer l’argentique c’est qu’on fait déjà de la photographie, donc on a des bases de technique, mais on ne sait pas comment se lancer, par exemple quelle pellicule choisir. Il faut donc se renseigner un maximum avant, de pratiquer pour améliorer sa technique, prendre pleins de photos et essayer de comprendre la lumière et l’ouverture du diaphragme, la profondeur de champ. Les tutoriels sur internet aident à comprendre et à apprendre. »

Jérémie Mazenq : Développer soi-même n’est pas si compliqué

« Au début tu achètes ce qu’on te conseille, tu vas sur des forums internet, puis tu essayes. Tu fais des tests avec différentes chimies ou pellicules pour voir les rendus. Tu vois ce que tu aimes. Ce que tu as fait de particulier sur cette photo. Au fur et à mesure tu trouveras ton style, une manière de développer, des pellicules que tu apprécies plus que d’autres. Ça fait peur car si on se rate on perd toutes les photos. Personnellement cela ne m’est jamais arrivé. En plus, tu vas plus vite et c’est plus gratifiant. Tu n’as pas besoin de payer et d’attendre trois jours pour avoir tes photos. »

Photos, textes et propos recueillis par Marie Lagache