Le 27 mars, le ministre italien de la Culture annonçait que les paquebots ne pourraient plus atteindre le centre historique de Venise. Une décision attendue depuis des années, mais qui laisse un goût de trop peu chez les défenseurs de la lagune. Matteo Secchi, président de l’association en ligne venessia.com, revient sur les dessous de cette annonce, en expliquant qu’il reste encore beaucoup de chemin vers une protection totale de la ville.
Pourquoi interdire aux bateaux de croisière de s’approcher de Venise semblait nécessaire ?
Ces navires constituent un danger pour la lagune vénitienne. Cette dernière, comme la ville, est très fragile. Dans le monde entier, aucune ville ne laisse les paquebots entrer pleinement dans son enceinte. Toute ville portuaire sait pertinemment qu’ils doivent rester à l’écart de la terre ferme.
D’abord, il existe un danger d’accidents, qui n’est pas théorique quand on voit les images de ces dernières.
Ensuite, les grosses coques déplacent beaucoup de sédiments. Ce déplacement crée une onde sous-marine qui attaque les fondements des immeubles de la ville, et les met gravement en péril.
Enfin, le danger est aussi environnemental : ces types d’embarcation pollueraient autant que 30 000 voitures.
Si les bateaux n’approchent plus Venise, le problème ne se décale-t-il pas sur les navettes pour se rendre en ville. Quelles solutions peut-on imaginer pour contrer cela ?
Nous serons heureux quand un port off-shore sera construit, à l’extérieur et loin de la lagune. Mais se posera le problème de transport des touristes vers le centre-ville. C’est une problématique qui joue déjà pour les acheminer de la zone maritime à la ville.
Pour le moment, ils prennent le Vaporetto et les taxis, qui sont polluants également. Si un port externe se développe, on pourrait réfléchir à des solutions de transport plus durables et respectueuses de la planète.
Vouloir est pouvoir. Avec mon association venessia.com, nous avons toujours soutenu la mobilité électrique. À Venise, les modes de déplacement doivent évoluer absolument, et nous militons pour se diriger vers cette nouvelle solution énergétique.
Quelles sont les bons points de cette décision ?
Nous ne connaissons pas précisément les échéances, mais nous craignons qu’elles soient longues. Ces craintes se sont déjà avérées il y a quelques années, avec le Décret Clini/Passera. Théoriquement, il interdit l’entrée aux navires supérieurs à 40 000 tonnes. Concrètement, rien n’a changé et nous redoutons que la même situation se reproduise dans les prochains mois.
Quoi qu’il en soit, le plan présente un point positif sur le papier. Il prévoit de transférer les paquebots vers Marghera. Ainsi, les bateaux ne seront plus collés à nos constructions. Néanmoins, ce n’est qu’une façon de contourner le problème, puisqu’ils pourront toujours longer la lagune. La logique voudrait donc que le problème disparaisse totalement avec la construction d’un port off-shore. L’obstacle en Italie réside dans les travaux de constructions publiques ; le temps pour les faire est très long.
Y-a-t-il encore beaucoup de problèmes écologiques à résoudre à Venise ?
Absolument. Déjà, tous les moyens de locomotion aquatiques polluent énormément, à l’image des Vaporetto, des navettes et taxis, ou même des simples barques motorisées. Retirer de la circulation les paquebots serait positif, mais insuffisant. Venise demeure quand même une des villes italiennes les plus polluées.
La lutte contre les déchets plastiques s’affiche comme un autre grand combat. Cette préoccupation est au cœur des débats, surtout durant la haute saison. Des milliers de bouteilles et autres détritus finissent au fond de la lagune. Nous voudrions interdire leurs vente et utilisation dans la ville, grâce à un système de consigne, comme cela se faisait dans les années 70 !
Avec la crise sanitaire un nouveau dilemme apparait : protéger l’économie italienne et locale en relançant le tourisme ou protéger l’environnement en préservant la ville des flux touristiques ?
La crise sanitaire nous a rajouté un grand défi : concilier tourisme et environnement. C’est indéniable que les visiteurs doivent au plus vite revenir à Venise. L’économie locale se repose exclusivement sur ce secteur d’activité. Nous sommes vraiment à la limite d’un point de vue économique. Les plus malchanceux n’auront bientôt plus aucun moyen de survire (moi y compris).
Ceci dit, il faut désormais approfondir toutes les solutions durables. L’objectif est de s’éloigner le plus possible du trafic et du rythme monstrueux pré-Covid. Cela demande beaucoup de travail et de temps, on ne peut pas convertir toute une économie régionale en quelques mois. C’est un processus qui demande des dizaines d’années pour se mettre en place. Pour le moment c’est très difficile à organiser, et les problèmes seront de retour en même temps que les touristes.
Selon moi, pour faire cohabiter développement durable et tourisme, il faut arrêter d’être hypocrite. Il faut fixer un nombre limite de touristes, afin de ne pas engorger les rues, les canaux, et les places de la ville. C’est un moyen de respecter les habitants, la nature, mais aussi les consignes sanitaires.
Hugo Messina