À seulement 12 ans, Diane Peira Martens quitte son nid familial aixois et s’exile à l’autre bout de la France. Sportive de haut niveau en Gymnastique Rythmique (GR), elle a choisi la rigueur et la discipline du Pôle d’Orléans pour tenter de réaliser son rêve : intégrer l’équipe de France. Ce n’est pas sans compter sur le soutien de sa maman, Fabienne, qui a fait beaucoup de concessions.
Le silence régnait dans le gymnase de l’Arc de Meyran à Aix-en-Provence ; seuls les comptes de l’entraîneur résonnaient dans la pièce. Une dizaine de jeunes filles en cercle au milieu du praticable suivaient la cadence d’un échauffement presque militaire. Battements, sauts, travail de pointes et pirouettes s’enchaînaient rigoureusement sous l’œil attentif et avisé de Stéphanie Arnoux. Il y a deux ans, je l’assistais dans son travail et c’est l’ambiance que je retrouvais au gymnase en arrivant chaque après-midi.
Je revenais à l’endroit où j’avais moi-même fait mes premiers pas en tant que gymnaste rythmique. Toutes ces jeunes filles me rappelaient mon enfance : vêtues de noir et cheveux enserrés dans des chignons, elles répétaient les mouvements de leurs chorégraphies des centaines de fois. Rubans, ballons et cerceaux s’entrecroisaient dans les airs. Parmi elles, il y avait la jeune Diane, 10 ans à l’époque. De longs cheveux blonds, un visage aux traits angéliques et beaucoup de fragilité dans le regard. Elle me faisait penser à une toute petite poupée que j’avais très peur de casser à chacune de mes corrections. Une poupée apeurée, toute menue, chétive même, que je ne voulais pas brusquer. Je me rappelle encore de la façon dont ses yeux bleus se sont mis à briller lorsque je lui ai dit pour la première fois « c’est bien Diane ». Je la retrouve à présent avec 15 cm de plus, le regard qui pétille, toujours sa longue chevelure blonde, et beaucoup plus d’assurance. Pour cause : elle a choisi de tout quitter pour intégrer le prestigieux pôle d’Orléans. Le sport de haut niveau a changé sa vie et celle de toute sa famille.
La Gymnastique Rythmique, un monde qui ne laisse aucune place au hasard
La gymnastique rythmique (GR) est une discipline très complète et exigeante. Avant d’arriver à un résultat potable, il faut travailler pendant des heures. C’est ce que j’ai fait, pendant 10 ans. Nous sommes censées avoir la grâce des danseuses, la dextérité des jongleurs et la souplesse des contorsionnistes. En compétition, nous devons exécuter des chorégraphies avec des engins : ballon, ruban, cerceau, massues et cordes. Le but est de les réaliser devant une dizaine de juges, implacables à la moindre erreur. Habillés tout en noir également, ils notent à la fois l’artistique, les difficultés corporelles, les difficultés à l’engin et la propreté d’un passage. Les chutes d’engin sont fortement pénalisées. Contrairement à des nations comme la Bulgarie ou la Russie, ce sport reste méconnu en France et peu médiatisé.
Diane a commencé ce sport à l’âge de 7 ans après des années de danse classique en Guadeloupe : « quand je suis arrivée en métropole j’ai eu envie de changer. J’aime ce sport car c’est gracieux. Il faut être habile et très souple ». Elle débute d’abord à Aubagne avant d’arriver au club d’Aix-en-Provence. Le seul bémol à Aix c’était la fermeture il y a 6 ans du pôle, la structure qui forme au très niveau. Sans être affiliée à un pôle, vous ne pouvez pas concourir parmi les plus grandes ni intégrer l’équipe de France. C’est pour cela que Diane et sa maman, poussées par Stéphanie Arnoux, ont décidé de passer les tests de sélection pour intégrer l’un de ces fameux pôles. « Je souhaitais qu’elle atteigne son rêve », explique Fabienne. Mais tout le monde ne peut pas prétendre aux tests. Il faut répondre à une morphologie type (ligne de jambe, poids plume, corps élancé), des critères de souplesse, sans oublier le mental et la motivation. Après un échec aux tests du pôle de Montpellier, c’est finalement celui d’Orléans qui retient la jeune gymnaste. Depuis, la mère et la fille se sont exilées là-bas : « c’est un investissement autant financier que familial », confie Fabienne.
Un sport qui lui colle à la peau
« Je ne peux pas vivre sans la GR. Elle fait partie de moi ». Difficile de penser autrement quand on y consacre plus de 22 heures dans la semaine avec deux entraîneurs de renom : d’abord Isabelle André, puis Snejana Mladenova. Cette dernière entraînait d’ailleurs la grande Eva Serrano, 5ème aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000. A cela s’ajoutent 3h45 de danse classique avec Jasmina Prolic. « Chaque entraînement commence par la danse et quelquefois par un échauffement spécial. Après, on travaille avec notre engin et puis on passe nos enchaînements en musique ». D’une maturité déconcertante pour son âge, Diane m’explique que « le pôle c’est un autre niveau d’exigence: l’intensité des entraînements a beaucoup augmenté. Nous sommes seulement 6 gymnastes donc les entraîneurs sont toujours derrière nous pour qu’on progresse rapidement ». C’est le cas pour elle, que je reconnais à peine sur les photographies du pôle.
Toute sa vie est chronométrée. Quand elle ne s’entraîne pas, elle étudie pour l’école. D’ailleurs, je me sentais coupable avec toutes mes questions car elle devait réviser pour un contrôle d’histoire. « Elle travaille très bien », souligne Fabienne. Je ne suis guère étonnée. Le sport de haut niveau t’impose une ligne de conduite. Je me souviens encore des mots de mon entraîneur bulgare: « tu ne peux pas être une bonne gymnaste si tu travailles mal à l’école ». Croyez-moi, après de telles paroles, j’ai rapidement écouté en classe. Je suppose qu’on s’impose toute cette discipline de fer dans tous les domaines, sans relâcher la pression, surtout avant une compétition. D’ailleurs, cette année, Diane matchera officiellement pour le pôle d’Orléans, sa première compétition de très haut niveau. « J’essaye de ne pas trop y penser, seulement de rester concentrée pendant mes passages », m’explique la gymnaste, très humble.
Des petits pois dans le congélateur
« J’ai pris beaucoup de recul. Avant j’étais angoissée. Je n’ai pas encore vu ses enchaînements mais je suis confiante. Il n’y a pas vraiment d’enjeux pour sa première année en pôle », avance Fabienne, très fière de sa fille. « J’aime encore plus la personne qu’elle devient grâce à la gym ». Quand je lui demande si elle a peur pour la suite, elle me répond clairement que non : « le sport de haut niveau permet de développer des qualités qui lui serviront toute sa vie, l’opportunité de faire des amitiés qui durent, ainsi qu’une philosophie : dans la vie, il faut avoir des objectifs et se donner les moyens de les atteindre. Par ailleurs, je la trouve épanouie aujourd’hui à Orléans ». Parfois, il lui arrive tout de même de craquer. Il y a des semaines où tout ne se passe pas comme on voudrait. Mais Fabienne sait comment agir dans ces moments-là: « je l’encourage en lui disant que ça va venir et qu’il ne faut pas lâcher. Le plus souvent je l’occupe à autre chose que la GR notamment le dessin. Elle peut passer des dimanches entiers à dessiner ». Il lui arrive aussi d’avoir mal aux pieds et aux chevilles, lot de toutes danseuses ou gymnastes de haut niveau. Mais là aussi, il ne faut pas s’inquiéter : Fabienne a « des petits pois dans son congélateur » pour soulager les pieds et le petit cœur de sa fille. Concernant cet article, j’ai du mal à conclure: ce sera donc une fin sans chute…
Megan Arnaud