Au Maroc, elles sont 30 000 par an à accoucher en dehors du cadre du mariage. Dans ce pays, c’est sévèrement réprimé par la loi. L’association 100% Mamans existe depuis maintenant 12 ans et milite en faveur du droit de ces femmes opprimées au quotidien.
Quand ce n’est pas la justice, c’est la société qui les juge. « Se faire coffrer ce n’est pas le pire », témoigne Maxence, stagiaire éducateur spécialisé de l’association 100% Mamans. « C’est le regard de la société qui est le plus terrible. On les appelle « mères célibataires » mais dans le fond, ce sont juste des mamans ». Elles sont souvent ouvrières, femmes adultères, professionnelles du sexe, étudiantes ou victimes de relations sexuelles contraintes. Et le droit ne les protège pas. Être mère célibataire est la preuve que vous avez violé la loi puisque l’article 490 du Code Pénal marocain incrimine les relations sexuelles hors mariage. Enfin, il sanctionne surtout les femmes. Les hommes qui ont des relations sexuelles hors mariage, eux, ne risquent rien; même s’ils deviennent pères. La loi ne les oblige pas à reconnaître l’enfant. Si la science peut les identifier avec un test ADN, cela n’influence pas les autorités qui restent implacables.
L’absence d’un cadre juridique pour régir le statut de mère célibataire mène à la privation des droits de ces femmes mais aussi à la privation de ceux de leurs enfants : « l’état-civil de l’enfant est discriminatoire car il y a ce « Abd » qui précède le nom et qui laisse entendre « né dans le pêché« , explique Maxence. « Il y a une pression sociale très forte, un jugement de la rue. Les propriétaires augmentent les loyers exprès quand ils comprennent la situation. C’est très difficile à vivre au quotidien ».
C’est pour toutes ces raisons que Claire Trichot a créé l’association 100% Mamans à Tanger. Depuis mai 2006, 1785 mères célibataires et leurs enfants sont passés entre ses murs. Elle permet leur intégration sociale et leur émancipation en tant que femmes. Elle lutte aussi pour le droit des enfants. La plupart de ces mamans sont jeunes : beaucoup ont entre 18 et 25 ans et ne sont pas de Tanger. « Elles quittent villes et familles pour venir spécialement ici. Il existe d’autres associations mais la spécificité de la nôtre c’est que nous ne jugeons pas : nous nous occupons de toutes les femmes. Les autres refusent les droguées et les professionnelles du sexe alors qu’au Maroc, la prostitution est très répandue. Il était commun pour un homme de perdre sa virginité avec une prostituée ».
« Les responsabiliser au maximum et les pousser à se prendre en main »
Cette année, 40 enfants sont à sa crèche. « C’est ce qui permet aux mamans d’aller travailler, d’avoir leurs vies. Détacher l’enfant de la mère permet de soigner leur relation », précise le jeune éducateur. Si 12 d’entre elles sont nourries, logées sur place et participent aux tâches quotidiennes, d’autres sont bénéficiaires externes et se joignent aux formations. Par exemple, l’organisme forme les femmes à la cuisine et au textile. « Le but est de les responsabiliser au maximum et de les pousser à se prendre en main. Après, on les accompagne jusqu’à ce qu’elles trouvent un emploi. Une fois qu’elles sont autonomes, elles peuvent garder un contact récurrent avec l’association». D’ailleurs, beaucoup reviennent et s’engagent à leur tour. C’est le cas d’un groupe de mamans qui anime une émission de radio au sein des locaux de l’organisation. Elles racontent leurs expériences, des années plus tard, en dialecte marocain.
Il y a aussi Najiya. « J’ai incarné tous les publics de l’association, dans ma vie j’ai tout fait », plaisante-t-elle. L’ancienne bénéficiaire de 31 ans est à l’origine d’un réseau d’éducatrices formées pour s’adresser aux professionnelles du sexe. Elles se réunissent tous les mois. Quand elle apprend que l’homologue de 100% Mamans à Casablanca (Solidarité Féminine) n’accepte pas toutes les femmes*, faute de moyens, elle s’insurge. « Les moyens c’est dans la tête ». D’ailleurs, 100% Mamans n’est évidemment pas financée par l’état marocain mais par des fonds internationaux via des appels à projets. « Si l’État collabore parfois pour la prévention des maladies sexuellement transmissibles, il ne s’implique jamais financièrement », éclaircit Maxence. « L’association fonctionne sur des partenariats et des donations ».
Porter la parole de toutes les femmes
Mais le processus d’intégration de ces femmes ne s’arrête pas là. Il s’agit aussi de participer à un changement de mentalités et de porter la cause de toutes les femmes au Maroc. Ce fut l’un des objectifs du mercredi 1er novembre dernier devant la Cour d’Appel de Tanger. L’association avait organisé une manifestation à la suite d’un jugement rendu quelques mois plus tôt par la Chambre de la Famille du Tribunal de Tanger. Maxence revient sur cette décision : « Pour la première fois, un juge proche de nos opinions avait enfin considéré la preuve scientifique qui unit un père à un enfant. Le père aurait donc pu verser des indemnités à la mère. Mais le jugement a été cassé par la Cour d’Appel de Tanger en octobre en se fondant sur une lecture patriarcale et discriminatoire du code de la famille, sans tenir compte du test ADN pourtant révélé positif. C’est frustrant car on aurait pu assister à une jurisprudence historique et très progressiste », avance le jeune homme, déçu. Cette manifestation reste malgré tout une victoire pour ces femmes qui, enfin, ont défilé sous leurs vrais visages. Des mères célibataires.
Megan Arnaud
* prostituées, droguées, seconde grossesse.