50. C’est le nombre estimé d’anciens joueurs et entraîneurs français reconvertis comme consultants sportifs sur les chaînes du PAF*. Les grands groupes audiovisuels n’hésitent plus à prendre des têtes d’affiche pour remplacer, purement et simplement, les journalistes. Pourquoi ce choix ? Décryptage.
En novembre 2015, le groupe multinational Altice a acquis les droits de diffusion français de la « Premier League », le championnat anglais de football. Dans la foulée, l’entreprise de Patrick Drahi a décidé de créer 5 chaînes de télévisions payantes intégralement consacrées au sport. Pour le lancement de SFR Sport 1, une chaîne 100% football, une « Dream Team » a été constituée et, surprise, elle ne contenait aucun journaliste. Uniquement des consultants ! Le journaliste ne semble désormais plus faire vendre, à l’inverse de certains anciens sportifs de haut niveau comme Jérome Rothen ou Christophe Dugarry.
Ce choix stratégique de SFR est totalement représentatif de ce qui se fait aujourd’hui à la radio et à la télévision. Car, oui, la voix des journalistes est en train de disparaître. Les consultants peuvent se targuer d’être d’anciens sportifs de haut niveau et, donc, d’avoir une légitimité pour évoquer des sujets touchants à leurs prédilections. Ils ont également, pour la plupart, un énorme réseau, utile pour faire tourner des émissions. Les grandes chaînes ne se privent donc pas de consultants, et préfèrent miser sur ces têtes connues du grand public.
Mais la problématique est beaucoup plus large. A l’origine, le consultant doit être un point d’ancrage pour le journaliste et doit lui servir à apporter une expertise sur un sujet précis. Aujourd’hui, les rôles sont totalement chamboulés, puisque le consultant se retrouve à faire exactement le même travail qu’un journaliste sur les plateaux de télévisions. Les consultants présentent, font des interviews, choisissent les sujets et les invités. On se retrouve dans un véritable « espace Schengen » de la télévision où les frontières entre les individus n’existent plus.
Le savoir-faire du journaliste est en train de mourir à petit feu, et les codes journalistiques sont de moins en moins respectés. Le téléspectateur est forcé d’écouter des interviews bâclées, menées par d’anciens internationaux qui ont du mal à aligner un mot devant l’autre. A l’écran, les chaînes privilégient le quantitatif au qualitatif. Il est préférable d’avoir trois consultants moyens qui vont faire parler d’eux plutôt qu’un bon journaliste. Car le consultant moyen va naturellement faire naître le débat par ses approximations.
Pire encore, les chaînes ne s’embarrassent même plus à prendre des consultants qui maîtrisent la langue française. Pourvu qu’ils aient eu une expérience dans le milieu du sport, et ils seront légitimes à commenter derrière un micro. Désormais, la porte est ouverte à tous les anciens joueurs de football. Devenir consultant sportif apparaît comme le remède miracle à une fin de carrière pour les footballeurs qui veulent rester proches des terrains.
Dans un marché inondé par les consultants, le journaliste sportif doit repenser son métier. Sa place est de moins en moins à la télévision et à la radio. Pour l’instant, seule la presse écrite semble résister à cette concurrence déloyale. Mais cette même presse est sur une pente déclinante d’année en année. En définitive, le consultant sportif est l’ogre Monsanto qui mange le petit agriculteur journaliste, à petit feu, lentement, mais sûrement.
Jordan PIOL-SPERANZA
*Paysage audiovisuel français