Photo © Magistère DJC
Le prix Goncourt 2022 a été attribué à Brigitte Giraud pour son roman « Vivre vite. » Elle fait le récit des événements qui ont mené à la mort accidentelle de son mari en 1999. Cette récompense permettra sans doute une augmentation des ventes de cet ouvrage, le Goncourt étant un gage de qualité. Mais que se cache-t-il derrière le prix Goncourt ? Retour sur son histoire, dont la renommée cache parfois des côtés sombres.
Goncourt : à l’origine du prix
Le plus prestigieux des prix littéraires est né de la volonté de l’auteur Edmond de Goncourt en 1903. De son vivant, l’écrivain souhaitait avec son frère Jules, créer une académie capable de concurrencer l’Académie française. C’est pourquoi ils ont décidé qu’après leur décès, leurs biens seraient vendus, et leur capital placé au profit de cette académie afin de récompenser un auteur par année. Jules décéda en 1870 et Edmond en 1896. Comme ils l’avaient voulu, leur académie vit le jour en 1902 et récompensa son premier auteur en 1903.
Ce sont les dix membres de cette académie qui déterminent le lauréat du prix Goncourt chaque année. Ces réunions entre membres ont quelque chose de très historique. Effectivement depuis octobre 1914, c’est au restaurant Drouant dans le 2e arrondissement de la capitale qu’ils se retrouvent. Et plus particulièrement dans le salon du premier étage de l’établissement. Ces réunions ont lieu tous les premiers mardis du mois, excepté en août. C’est au début du mois de novembre que le prix est décerné à la suite d’un scrutin. Celui-ci peut être long. Si bien qu’après quatorze tours, le président de l’académie dispose d’une voix double pour trancher. Ainsi, depuis des décennies, l’académie a vu défiler des prestigieux noms parmi ses membres, comme Colette, Louis Aragon ou encore Raymond Queneau.
Aujourd’hui, le prix Goncourt, c’est aussi un prix de la poésie dit « Robert Sabatier » depuis 1985, un prix du premier roman depuis 1990, ou encore un prix de la Nouvelle depuis 1974. Mais le prix Goncourt, c’est surtout le plus ancien et le plus prestigieux des prix littéraires français. Car au-delà des 10 € promis au vainqueur, c’est l’assurance pour le gagnant de voir son ouvrage figurer parmi les meilleures ventes. Néanmoins, malgré son ancienneté, de nouvelles règles peuvent être promulguées. Comme en 2022, lorsque l’académie a souligné qu’un ancien juré ne pouvait être lauréat du prix. Notamment en raison du grand succès du dernier ouvrage de Virginie Despentes, qui a quitté l’académie il y a quelques années.
Hippolyte Arnaud
La machine à succès
Grâce à la renommée du Goncourt et à sa publicité, les écrivains peuvent constater chaque année un attrait pour les livres couronnés. Ce prix donne aux ouvrages une sorte de certification sur leur qualité. Le lecteur sait la valeur de cette récompense et achète en connaissance de cause. Il ne le prend pas par hasard, mais parce qu’il sait ce que vaut un Goncourt.
Parmi les exemples les plus parlants, Nicolas Mathieu en 2018, qui a été lauréat du prix Goncourt pour son roman « Leurs enfants après eux. » Avant sa victoire, le livre s’était écoulé à seulement 15 000 exemplaires. Moins d’un an après sa victoire, son livre a été vendu à plus de 375 000 copies. L’impact sur les ventes est donc important, avec 360 000 ouvrages en plus vendus entre novembre 2018 et février 2019.
Le Goncourt serait donc un déclencheur du succès. En 2021, le lauréat Mohamed Mbougar Sarr avait vendu près de 550 000 exemplaires de son livre « La plus secrète mémoire des hommes. » Certains des ouvrages sacrés ont connu un succès moins important, comme Patrick Grainville en 1976 ou Michel Host en 1986, mais se sont tout de même vendus à plus de 100 000 exemplaires.
Cette montée des ventes a, inévitablement, entraîné une augmentation des bénéfices de l’auteur. Il perçoit environ 12% de revenus par livre acheté. Quel que soit son prix, il est certain que le profit retiré par l’écrivain sera important, et bien loin des dix euros attribués au vainqueur du Goncourt. Mais ce n’est pas une victoire que pour l’auteur. La maison d’édition est également vainqueure. Ses bénéfices augmenteront en même temps que les ventes, et la publicité de l’ouvrage sacré sera une opportunité de faire connaître les autres livres de la maison.
A l’approche des fêtes, nul doute que le Goncourt sera en tête des ventes et se retrouvera sous le sapin.
Noémie Letellier
Prix Goncourt : un cadeau empoisonné ?
La majorité des auteurs d’expression française ambitionne, un jour, d’accéder à une telle reconnaissance. Le prix Goncourt est la récompense littéraire française la plus réputée grâce à son prestige et son ancienneté. Un changement radical dans une vie qui peut mener à « l’isolement » selon Nicolas Mathieu, lauréat en 2018. L’auteur de « Leurs enfants après eux » a terminé « dans un état de fatigue extrême » durant les mois suivant sa consécration. Source ?
Alors, comment ce rêve peut se transformer en cauchemar ? Pierre Assouline, membre de l’académie Goncourt, souligne que « c’est paradoxal, mais quand il est attribué à quelqu’un de jeune, le Goncourt n’est pas un cadeau ». Pour certains, l’idée de décerner le prix à un jeune comprend des risques. Entre le rythme insoutenable, le manque de maturité et l’exposition soudaine, la plupart des signaux sont au rouge pour les écrivains précoces. Selon Nicolas Mathieu, « cela change tout, d’un jour à l’autre » lorsque l’on devient lauréat. Le vainqueur du prix en 2011, Alexis Jenni, avait précisé que : « si je l’avais eu plus jeune, l’argent, le succès aurait pu me monter à la tête et j’aurais pu finir en plein délire narcissique ».
En 1972, Jean Carrière a reçu l’illustre sacre pour « L’Épervier de Maheux ». En peu de temps, il est sujet à une sombre dépression. Tourmenté, le lauréat cesse d’écrire pendant presque quinze ans. Après plusieurs années de thérapie, il brise le silence en publiant un récit autobiographique, « Le prix d’un Goncourt ». Une œuvre pleine d’amertume à l’égard du monde de la littérature. Selon lui, « le prix Goncourt est un gâteau couvert de mouches et bourré de fèves sur lesquelles on se casse les dents ». La dernière lauréate, Brigitte Giraud, n’a pas de raison de s’inquiéter du haut de ses 62 ans. L’expérience a bien souvent donné tort à la prétendue « malédiction » du prix Goncourt.
Patrick Latrémolière
Ses scandales et ses polémiques
2021, l’académie soupçonnée de conflit d’intérêts
Il s’agit de la dernière polémique relative au prix Goncourt. Elle ne concernait pas le vainqueur de l’édition 2021 mais l’un des finalistes, François Noudelmann. Le philosophe n’est autre que le compagnon de Camille Laurens, jurée du prestigieux prix. Il n’en fallait pas plus pour que l’académie soit accusée de conflit d’intérêts. Surtout après la violente critique émise par Camille Laurens envers l’œuvre d’Anne Berest, elle aussi sélectionnée pour la finale. En principe, les membres du jury sont soumis à un devoir de neutralité…
1919, Proust, le « vieux » récompensé
Un siècle avant l’affaire Camille Laurens, l’académie avait eu le droit à son premier scandale en attribuant la récompense à Marcel Proust pour « A l’ombre des jeunes filles en fleurs ». A l’époque l’auteur n’était pas si connu du grand public. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, c’est Roland Dorgelès qui a les faveurs de la presse pour « Les Croix de Bois ». Ce livre raconte le quotidien des tranchées alors que le roman de Proust décrit la vie mondaine. Furieuse, la presse crie à l’injustice et s’attaque au « vieux » Proust. L’Histoire montrera que l’académie ne s’est quand même pas trop trompée.
1951, Julien Gracq, le Goncourt malgré lui
Pour la plupart des auteurs, obtenir le prix Goncourt représente un aboutissement, ou au minimum une grande joie. Mais pas pour Julien Gracq. L’écrivain sait que son œuvre, « Le Rivage des Syrtes » est pressentie pour rafler la mise. Anticipant sa future victoire, celui qui écrit sous le pseudonyme de Louis Poirier annonce qu’il refusera la récompense. A l’époque, c’est une grande première. Gracq dénonce les préjugés des critiques qui selon lui s’intéressent davantage à l’auteur qu’aux livres. Malgré cette mise en garde, l’académie le proclame grand vainqueur quelques jours plus tard. Avec en prime une petite pointe d’humour de Raymond Queneau lors de l’attribution des résultats. « Le prix est décerné au Ravage de Sartre, par Julien Green ! Pardon : au Rivage des Syrtes, de Julien Gracq ! »
Raphael Hazan
Le prix Goncourt : les femmes oubliées ?
Brigitte Giraud est la 13ème gagnante féminine depuis la création du prix en 1903, une bien maigre représentation.
« Pas de jupons chez nous », s’exclamait Joris-Karls Huysmans, membre du jury à la création du prix. La couleur était donnée. En 1904, alors jugée grande favorite de l’édition du Goncourt pour « Conquête de Jérusalem », Myriam Harry ne fut pas couronnée. En réaction à la misogynie flagrante du jury, 22 femmes de lettres fondent le prix Femina qu’elles lui décernent cette même année.
Il a fallu attendre 41 années pour qu’une femme hérite enfin du trophée Goncourt. Il s’agissait d’Elsa Triolet pour « Le premier accroc coûte 200 francs » en 1945. Cette même année, Colette était la deuxième femme à intégrer le jury et c’est en 1949 qu’elle est devenue la première présidente de l’académie Goncourt. C’est d’ailleurs sous son mandat que seront élues les deux premières lauréates.
La prestigieuse récompense serait, plutôt essentiellement un prix d’hommes remis par des hommes. En effet, seuls 10% des lauréats sont des femmes mais le jury n’a lui non plus jamais été paritaire. Sur les 62 membres qui ont siégé à l’académie, elles n’étaient que huit. Aujourd’hui encore, la parité n’est pas respectée puisque trois femmes siègent parmi les dix décisionnaires : Françoise Chandernagor, Paule Constant et Camille Laurens. Didier Decoin, président de l’académie, promettait pourtant au micro d’Europe 1 en 2020 que deux femmes intégreraient le jury. Mais pas à n’importe quel prix « Si c’est une femme, il faut qu’elle soit connue du public. On est un prix populaire donc ce n’est pas la peine d’aller chercher une écrivaine qui fait de la littérature de laboratoire ».
Depuis le début du 21ème siècle, trois femmes ont été couronnées, tout juste rejointes par Brigitte Giraud. Avec deux finalistes féminines sur quatre cette année, espérons qu’il s’agisse du début d’une longue série.
Emma Frary
Renaudot, Femina, Médicis,… Il n’y a pas que le Prix Goncourt dans la littérature française
Difficile d’exister dans l’ombre du prestigieux Prix Goncourt. Et pourtant, le mastodonte des prix littéraires français n’est pas l’unique récompense annuelle. Renaudot, Femina, Librinova, Médicis,… Ils sont quelques-uns à tirer leur épingle du jeu. Chacun d’entre eux récompense un auteur pour l’ensemble de son œuvre ou pour un roman en particulier.
Derrière le prix crée par Edmond de Goncourt en 1903, le Prix Renaudot est certainement le plus populaire pour une grande majorité des littéraires. Mis en place par le journaliste et écrivain Jean Renaudot en 1926, le Prix Renaudot a été remis à de nombreux grands écrivains français, tels que Marcel Proust, Albert Camus ou encore Simone de Beauvoir. Au fil des décennies, le Renaudot s’est positionné comme un prix visant à récompenser les « injustices » du Goncourt.
Face à l’omniprésence des écrivains masculins récompensés, un prix avec un jury 100 % féminin a été également crée en 1904 : le Prix Femina, qui récompense chaque année une œuvre de langue française écrite en prose ou en vers. Le prix prend le nom Femina à la fin de la Première Guerre mondiale, en utilisant le nom du magazine du même nom.
Beaucoup plus récent, le Prix Médicis fondé en 1958 par Gala Barbisan et Jean-Pierre Giraudoux prime chaque année un roman, un récit, un recueil de nouvelles dont l’auteur débute ou n’a pas encore une notoriété correspondant à son talent. Au-delà d’offrir une belle exposition, le prix Médicis veut surtout mettre en avant des écrivains audacieux, aux styles détonants et novateurs.
Enfin, le Prix des étoiles Librinova est le benjamin des prix littéraires français. Créée en 2016, la récompense met en lumière un auteur prometteur en lui proposant un contrat d’agent pour lui offrir la chance de trouver un éditeur traditionnel.
On aurait pu citer également le Prix Goncourt des lycéens, le Prix du roman Fnac, ou encore le Grand prix du roman de l’Académie française… Tant de récompenses qui rappellent que même si on ne décroche pas le Graal, on peut néanmoins récolter un bon nombre d’étiquettes tout aussi respectables.
Lucas Emanuel