© Tessa Jupon
Deux univers, deux forêts. « Dark was the Night » est une pièce écrite et mise en scène par Emmanuel Meirieu. La compagnie Bloc Opératoire s'est produite au Théâtre du Jeu de Paume d’Aix-en-Provence du jeudi 17 au samedi 19 novembre 2022. Positionnée au milieu du quatrième rang, j’ai assisté à la dernière. L'ultime représentation du récit de deux histoires, extraordinaires ou réelles, que tout relie.
« Bonjour les extraterrestres, quand est-ce que vous viendrez nous voir ? » François a sept ans et d’une voix enfantine et naïve, le petit garçon enregistre son message pour une autre forme de vie qu’il ne cesse de dessiner depuis des années. Il espère sincèrement les rencontrer un jour. Des créatures avec des tentacules, des yeux tout ronds, des grandes dents ou quelques poils, François les a imaginées pendant toute sa vie. La pièce débute sur une projection de plusieurs dizaines de minutes sur le grand rideau. Il est passionné par les extraterrestres. Une obsession qui l’a amené à se glisser dans leur peau pour comprendre leur perception de notre planète, inconnue pour eux. Ce théâtre est profondément humain et nous pousse dans nos retranchements. Il nous pose la question de notre existence sur Terre, et surtout de ce qu’elle représente.
Nous sommes en 1977. La sonde Voyager 2 de la NASA a décollé pour rejoindre l’espace. Mais l’engin spatial n’est pas parti vide. Un couple de jeunes scientifiques s’est chargé d’une idée folle : créer un disque d’or pour les extraterrestres. L’objectif : tenter de leur expliquer qui nous sommes. On comprend alors que notre existence est résumée par des images et des sons. C’est leur petit garçon, François, qui s’est (presque) appliqué à numéroter les illustrations de notre vie sur terre. Un homme qui mange un sandwich, une fusée qui décolle, l’océan, notre anatomie, les arbres… ce sont 118 photographies qui, finalement, synthétisent bien notre présence sur la planète bleue. Les spécialistes ont aussi choisi d’ajouter des sons : le train, l’avion, la voiture, le cri d’un bébé, un baiser, le bruit des vagues, ou encore l’aboiement d’un chien. Car au fond, que sommes-nous de plus que ces images et ces sons ? Notre quotidien ne se résume-t-il pas à manger et à nous déplacer ?
© Tessa Jupon
« Sombre était la nuit, froide était la terre »
Toute l’histoire de la pièce est loin de s’arrêter là. Emmanuel Meirieu s’est attelé à respecter la cause qu’il défend dans toutes ses productions : faire résonner les voix de ceux qui n’en n’ont pas, les oubliés de l’Histoire, ceux heurtés par l’existence. Entre fiction et réalité, l’écrivain et metteur en scène a choisi de raconter en parallèle la triste mort de Blind Willie Johnson. Le maître du blues gospel est décédé à l’âge de 48 ans alors qu’il faisait frissonner de désir le Texas. Mais il était noir et pauvre. Atteint de la syphilis, le musicien s’est éteint seul. Aucun hôpital n’a souhaité l’accueillir. Par des tirades puissantes et torturantes, un comédien est en larmes. Comment a-t-on pu laisser un homme si fascinant mourir seul et laisser son corps pourrir dans une forêt ?
On se trouve désormais au cimetière Blanchette, à Beaumont au Texas. Le décor est imposant et déconcertant. Aucun signe d’un quelconque lieu de repos des morts. Et c’est tout le drame de cette histoire. C’est un talus, une décharge, située au-dessus d’une grande route. Le lien avec le disque d’or est simple. La chanson « Dark was the Night » de Willie Johnson figure en 27ème position des musiques enregistrées. Une façon de montrer que l’être humain est aussi très hypocrite et égoïste. Comment peut-on utiliser la chanson d’un homme qu’on a laissé dépérir sans pitié ?
Un voyage transportant et déroutant qui ne laisse pas les spectateurs indifférents. Les questions se bousculent et le ressenti est bouleversant. Entre histoires extraordinaires et réalité, Emmanuel Meirieu s’y est pris d’une main de maître pour créer une pièce spectaculaire et terrifiante. Les derniers instants sont percutants. François se laisse mourir en mettant ses bras dans sa ruche. Mais l’écrivain l’a décidé, ce n’est pas la fin pour le chercheur tenace qui poursuit ses investigations… en vain. Au cimetière du Texas, la tombe de Willie Johnson n’a jamais été retrouvée. Du moins, pas sur Terre.