Josette Grau, 73 ans vient de contracter le covid-19. Après avoir frôlé la mort tant de fois, elle a décidé de continuer sa vie sans penser aux conséquences  

« Quand je dis aux gens que j’ai eu le covid, ils reculent d’un mètre, on dirait que je suis une pestiférée » Nichée seule dans son HLM au sixième étage d’une tour de Salon-de-Provence, Josette Grau nous accueille avec un grand sourire, café à la main. « Je suis immunisée je crains dégun » rigole la marseillaise en enlevant son masque. Cette joie ne laisse pas entrevoir l’horreur dans laquelle elle était plongée quelques semaines auparavant. Après s’être installée sur son fauteuil qui préside fièrement dans le salon, son sourire disparaît peu à peu et son regard se perd. Elle commence à se confier. « J’aurais pu y rester quand même ». En novembre dernier, elle est testée positive, quelques heures après le résultat elle est hospitalisée d’urgence. « Je ne me sentais pas bien depuis quelques jours, à partir du moment où je suis rentrée dans l’ambulance, je n’ai plus aucun souvenir » Elle reste au total 14 jours à l’hôpital, et n’en sort qu’avec de vagues impressions. « Je crois que mes filles m’ont appelée, mais je ne me rappelle plus de grand-chose… » Et pour cause, sa tension descend en dessous de quatre, elle a de grosses poussées de fièvre et est constamment sous perfusion. « J’étais shootée » À son entrée, son état est plus que préoccupant, et son pronostic vital engagé. Cinq jours plus tard, elle se stabilise, et reprend conscience. 

Mais une fois guérie, elle va connaître une autre douleur. « Quand je suis rentrée, j’ai été envahie d’un silence, j’ai passé deux semaines avec les bruits de l’hôpital jour et nuit, et puis d’un coup, rien. » Ce vide va être rempli par un sentiment qu’elle ne connaissait pas jusque là « Je crois que j’ai entamé une dépression ». Elle baisse la tête, et souffle « Mes trois filles ne m’ont même pas rendu visite, alors qu’elles habitent à 5 minutes de chez moi. » Le jour après sa sortie de l’hôpital, contre l’avis médical elle prend la voiture et va en ville « J’ai besoin de médicaments, de faire deux trois courses, je ne vais pas me laisser dépérir. » Aujourd’hui elle porte un regard différent sur la pandémie « Le gouvernement n’est pas précis, et cela coûte des vies. J’ai la sensation qu’on prend cela un peu trop à la légère. Il faut se reconfiner, et vacciner tout le monde ». 

Un rapport à la mort particulier 

Elle est interrompue par la sonnerie de son téléphone. C’est sa petite fille, elle doit répondre. « Quoi ? Des petits qui t’embêtent au collège ? Je vais aller les voir, ils vont comprendre. » Énervée, elle raccroche. « J’ai 7 petits enfants, ce sont les 7 merveilles de mon monde. Personne ne les touche. Sinon je m’en mêle, et ça va mal finir ». Les photos de ses protégés décorent son appartement et ne laissent presque plus entrevoir la peinture jaunâtre des murs. Entre deux commérages sur la vie de son quartier, qui lui est si cher, elle ironise d’un accent marseillais « Entre nous, je m’en fiche de mourir, j’ai frôlé la mort 8 fois ! Mon petit-fils dit que je suis increvable, je dois coûter cher à la sécu ». Cancer du poumon, tentative de suicide, fausse couche, aujourd’hui elle n’a plus peur de la mort… Mais ce qui a fondamentalement marqué sa vie, c’est son accident de voiture il y a 30 ans. « Une Citroën nous a coupé la route à 90 degrés sur une nationale, ma tête s’est éclatée contre le pare-brise, j’ai été retrouvée inconsciente dans une mare de sang.» Quatre mois plus tard, elle ressort de l’hôpital, le corps marqué de 50 points de suture. « Après ça, j’ai repris ma vie immédiatement » trois jours plus tard, les cicatrices encore gisantes, elle vend des légumes sur un marché. C’est son credo, elle ne peut pas rester sans rien faire. Les marques sur ses mains portent le poids de ces années. Aujourd’hui encore, du haut de ses 73 printemps elle continue de travailler chaque week-end. « Dimanche après-midi je vais faire le vide grenier de Miramas. Je fais tous ceux de la région depuis 25 ans ». La voiture est déjà prête, les vieilleries se mêlent aux vêtements dans sa petite Twingo rouge qu’elle pointe depuis son balcon. « Le médecin m’a interdit d’y aller le matin, parce que je dois me réveiller à 4h, et quand je dors peu j’ai des difficultés respiratoires ». 

Chaque jour, elle prend 19 médicaments différents. Malgré cela, elle risque de rapidement retourner à l’hôpital. « J’ai le foie entouré de graisse, c’est un foie gras ! » s’exclame la petite mamie « je commence vraiment à en avoir ras la casquette, j’ai toujours quelque chose ». Celle que l’on appelle Jo ne se considère par comme une personne âgée, et veut conserver son rythme de vie effréné, au péril de sa santé « À ce rythme, je ne pense pas pouvoir vivre encore longtemps, pour être honnête, je pense même que ce sera ma dernière année, mais j’aurais bien vécu ». 

Vincent Pic