Cette année, Elisa et sa famille ont décidé de passer Noël en Bourgogne. L’occasion de changer d’air, comme le souhaitaient son frère, Quentin, et sa femme qui habitent à Paris. L’occasion également de discuter mais aussi (et surtout) de ressortir quelques jeux de société…

Hésitation. Calcul. Si elle lui prend sa dame, il lui prendra la sienne au coup suivant. Elisa n’est pas certaine de vouloir perdre sa pièce favorite. Décision difficile. Il commence à s’impatienter, elle le voit bien. Il laisse échapper quelques soupirs, roule des yeux. Ne surtout pas y prêter attention. Ne pas se laisser déconcentrer. Il faut gagner. A tout prix. Comme si sa vie en dépendait. Plusieurs heures de leurs journées s’écoulent devant le jeu d’échecs depuis le début de ces vacances en Bourgogne. Quentin vient de lui décrypter le rôle de chaque pièce. Il lui avait déjà fait découvrir les dames chinoises. Elle n’avait pas encore dix ans. N’est-ce pas la définition d’un grand frère ? Quelqu’un qui nous fait oublier notre âge. Celui qui nous fait peut-être le plus grandir. Le jeu d’échecs s’est rapidement transformé en rituel. Une nouvelle passion partagée. Une nouvelle façon de se défier. Leur confrontation bienveillante à eux. C’est le 24 décembre. Il est presque 13 heures. Qu’importe. L’heure est au duel. Mais sans cavalier. Tous ont déjà été mangés. Ils ont regardé la fameuse série « The Queen’s Gambit » et semblent eux-aussi ensorcelés par ledit roi des jeux. Une fois que l’on a joué, impossible de s’éloigner des cases noires et blanches. Si l’on parvient à s’en séparer, les dernières parties, les derniers coups continuent de hanter notre esprit.

Fascination. La dame nous a-t-elle envoutés ? Sommes-nous devenus fous ? Faut-il s’enfermer en haut d’une tour ? A cet instant, plus rien n’existe autour d’eux. La voix enveloppante et séduisante de Franck Sinatra ne les déconcentre pas. Pas plus que l’odeur de la dinde qui dore dans le four. Il n’y a que le champagne qui, lui, gagne toujours. Et ils se trouvent tout de même dans une région viticole. A défaut d’empoigner la reine, Elisa saisit la taille de sa flute. Pense-t-elle véritablement que ce fluide constellé de fines étincelles va l’aider à y voir plus clair ? « Shebam. Pow. Blop. Wizz ».  Les bulles éclatent dans sa bouche. Ses paupières se ferment. C’est bon, elle a décidé. Elle le défie maintenant du regard, le sourire au coin des lèvres. Elle se lance. Adieu reines. Va-t-elle bientôt devoir dire bonjour tristesse ? Comment la partie va-t-elle se poursuivre sans elles ? Elle a envie de le découvrir. Le repas est servi. Pas d’autres choix que de faire une pause. Evidemment, que seraient des retrouvailles familiales sans un petit quart d’heure politique ? Le jeu reprend. Chacun doit avancer ses pions. Frère et sœur ont des opinions tranchées. Et clairement opposées. Débattre placidement est alors bien laborieux. Rapidement, leurs parents et Mélodie, la femme de Quentin, cherchent à changer de sujets. Mais lorsqu’ils ont commencé, il est particulièrement compliqué de les arrêter. Ils retournent finalement à leur partie. Match nul. Mais la soirée ne fait que commencer. Vient ensuite le tour des camemberts rose, orange, violet, vert et bleu du fameux Trivial Pursuit (où Quentin est irrévocablement imbattable). Il est 23 heures passées, chaque membre de la famille dispose un post-it sur le front de son voisin. Elisa veut évidemment piéger son frère. C’est le réalisateur Tarkovski qu’il devra trouver. Echec et mat. Quentin, après seulement trois questions, élucide le mystère – en partie grâce aux remarques du reste de la famille sur la perfidie. Les caramels fondants laissent soudainement un goût amer dans la bouche de la cadette. Le temps file. Minuit approche. Les cadeaux aussi.

Rivalité oui, toujours. Mais stérile, non jamais. Elle les invite à se dépasser. Et en réalité ce qui finit toujours par l’emporter, c’est leur indéfectible amour. Cet après-midi-là, il l’a faite monter sur son dos quand la pluie s’est mise à tomber et qu’elle courrait moins vite. Comme lorsqu’elle n’était encore que sa petite sœur. A moins qu’elle ne le demeure éternellement.

Élisa Hemery