Lancés par le gouvernement le 18 octobre, les États généraux de la justice ont donné lieu à de nombreuses démarches sur le plan national. Mercredi 1er décembre, un débat s'est tenu au tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence avec les principaux acteurs du monde de la justice. L'occasion d'aborder plusieurs problématiques et de proposer des pistes pour améliorer le système judiciaire français.

 

Mercredi 1er décembre 2021, 9h06, salle Simone Veil au Palais de Justice d'Aix-en-Provence. Avec une décontraction peu habituelle dans une salle d’audience judiciaire, le président du tribunal, Francis Jullermier-Millasseau, présente la rencontre du jour, dédiée aux États généraux de la justice. Avec le procureur de la République d’Aix, Achille Kiriakides, ils sont en effet chargés d’organiser ce débat. « On vous remercie d'être présents ce matin, vous les garants, les leviers de notre justice d'aujourd'hui et de demain », promet le président Jullermier-Millasseau à la quarantaine de participants, en grande majorité des acteurs du système judiciaire français (représentants de la police, experts, avocats, greffiers, associations de victimes et hauts fonctionnaires…). Et afin de « rajeunir » la vision de la justice, les échanges incluent aussi quinze étudiants en fin de cursus de droit de l'Université d'Aix-Marseille. Une présence saluée par le procureur : « Je vois avec grand plaisir nos jeunes générations embrasser ces métiers avec passion ». Seuls les magistrats sont absents pour signifier leur protestation contre le manque de moyens. 

Dans une atmosphère propice aux échanges, la réunion est lancée autour de la thématique d'amélioration des délais de traitement des missions et des investigations judiciaires : enquêtes, commissions rogatoires, expertises civiles et pénales. « Nous arrivons à un point de non-retour, la question des délais est cruciale », constate le procureur Kiriakides qui enchaîne avec un sujet majeur : « Comment les acteurs de la justice peuvent-ils mieux collaborer ? » Question qui va susciter nombre de réponses et propositions.

Il faut dire que cette interrogation concerne les trois thématiques établies par le gouvernement pour ces États généraux : la place de la justice au sein de la société ; une meilleure qualité des services et du fonctionnement de l'institution ; enfin, l'amélioration de la compréhension par les citoyens de l'activité judiciaire. Cette image de la justice qu’ont les citoyens constitue d’ailleurs la première partie de cet atelier avec la prise de parole des étudiants en droit. Interrogée par le président, Céline, étudiante en Master 2, expose son point de vue : « Le citoyen manque d'informations pour comprendre ses droits et comment fonctionne la justice ». Déclaration appuyée par une de ses camarades qui pointe la responsabilité des médias sur ce point : « Ils ne communiquent que sur les points faibles de la justice ».

 

Quelle perception de la justice par les Français ? 

 

Ont été dévoilés les résultats d’une enquête sur la connaissance et la confiance des Français dans leur système judiciaire, réalisée par la société CSA (Consumer Science and Analytics), pour le Sénat, entre le 30 août et le 2 septembre 2021 sur un échantillon* de 1 016 Français de plus de 18 ans. Résultats : les Français ont une connaissance très moyenne du système judiciaire et ne lui font pas confiance. En effet, 51% des personnes interrogées déclarent mal connaître le fonctionnement du système judiciaire français. Parmi les acteurs de la justice, les avocats sont les mieux connus (84%), suivis par les juges des enfants (72%) puis les huissiers (à 70%).

Par ailleurs, 18% des Français déclarent avoir été en contact avec la justice il y a moins de 5 ans, majoritairement dans le cadre de leur vie privée, contre 54% qui déclarent ne l’avoir jamais été. On apprend aussi que deux raisons principales poussent les citoyens à n’avoir pas recours à la justice : la peur de s'engager dans une procédure coûteuse (62%) et la peur de la longueur de la procédure (56%).

D’autre part, les Français ont une perception très négative de la justice : ils la trouvent lente (selon 93% des sondés), inégale, voire à 2 vitesses (66%) et inefficace (66%). En conclusion : 53% des Français sondés affirment ne pas avoir confiance dans le système judiciaire.

En revanche, ils sont largement en faveur d'une amélioration de la justice. Ils sont 92% à souhaiter une simplification des procédures, 88% d’entre eux veulent davantage de personnels, enfin 84% estiment qu’il faut augmenter les moyens financiers de la justice.

*méthode des quotas basée sur le sexe, l'âge et la profession de la personne interrogée après sélection par région

 

Mathilde Gibillino

 

Justement, la rencontre se poursuit avec la découverte d’un sondage à l’initiative du Sénat. Cette enquête révèle les problèmes du système judiciaire pointés par les citoyens interrogés. Ce résultat préoccupant pousse Jean-Philippe Agresti, doyen de la Faculté de droit et de science politique d’Aix, à réagir : « La question de la confiance est particulièrement alarmante. » Autre point inquiétant pour le doyen : le ressenti de justice à deux vitesses l’inquiète, alors même que « le taux d’élucidation est croissant ».

Autre problématique abordée : le manque de moyens auxquels sont confrontés les représentants de la justice. Le responsable du commissariat d'Aix-en-Provence interroge les possibles avancées alors que l' « on manque d'effectifs et de personnel formé pour répondre aux nouvelles demandes, ça ralentit le traitement des enquêtes », déplore-t-il. Selon lui, le dépôt de plaintes en ligne serait une première solution. Réponse du procureur : « On ne peut pas traiter toutes les plaintes mais on ne communique pas assez aux citoyens. »

Des échanges de points de vue qui poussent sans tarder le public de la salle à s’exprimer, dans une vraie dynamique. Le procureur n'hésite pas à converser et exposer sa pensée à chaque intervenant. « Il faut de l’empathie et de l’écoute dans l'accueil des victimes au commissariat. Vous êtes le premier maillon de la chaîne de la justice en lien avec les victimes », rappelle-t-il aux forces de l’ordre, avant de laisser la parole à la représentante d'une association d'accompagnement de victimes. Cette dernière évoque plusieurs soucis fréquents : « On nous demande de faire du quantitatif et non du qualitatif. Il y a également une vraie méconnaissance du système judiciaire et des procédures basiques, les victimes se retrouvent dans l'inaction », regrette-t-elle avant de souligner que si « on fait paraître les victimes de violences conjugales comme les plus importantes que nous traitons, cela représente 30% de ceux qu'on accompagne. On ne parle pas assez des 70% restants ».

 

La question des experts

 

Un sujet délicat a été abordé dans le cadre de ces États généraux : les experts. Ce sont des professionnels (par exemple des médecins, des graphologues, des architectes...), et non des fonctionnaires, qui posent leur candidature afin de proposer à la justice une expertise dans leur domaine sur des mandats de cinq ans. Lors de la réunion, un représentant de la branche des greffiers a souligné la difficulté de trouver des experts dans certains domaines. Dès lors, certains se retrouvent surchargés d’affaires, ce qui ralentit grandement les délais et rend les experts encore moins disponibles. La qualité de la justice en pâtit également. Que faire, dès lors ? Plusieurs pistes ont été avancées (portant sur les rémunérations, le renouvellement des mandats…) pour améliorer les choses concernant ces experts, qui demeurent des auxiliaires essentiels. 

 

M.G

 

Autant d’interventions riches, suivies d’échanges entre greffiers, experts et avocats autour de la question des délais et des traitements de procédures. Puis la dernière séquence permet d’évoquer les moyens de partage et de communication entre les acteurs du système judiciaire. La plateforme Opalex est au centre de la discussion. Cet outil est une plateforme de transfert de fichiers permettant de communiquer plus rapidement et éviter l'envoi de courriers : « C’est un vrai motif d'espoir dans l'optique de l'amélioration des délais », estime le président Jullermier-Millasseau.

Arrivent 12h, il est temps de conclure ces échanges fructueux. Avant cela, président et procureur accordent le dernier mot aux étudiants, satisfaits d’avoir pu assister à cet atelier, « c'est de cette manière que nous ferons progresser notre justice. Ce moment renforce mon envie de m'engager dans cette voie », promet Céline. Ces États généraux, qui ouvriront peut-être la voie à de prochaines réformes, constituent un premier pas important pour bâtir le monde judiciaire de demain.

 

Rayan Allaf