Dimanche 15 mars en début de soirée, le journaliste Samuel Etienne recevait sur sa chaîne Twitch, Jean Castex. Un live qui en a laissé plus d’un insatisfait, avec le sentiment que le Premier ministre esquivait les questions des viewers. Les fans de la plateforme restent très mitigés. Même si, dans le même temps, de plus en médias s’intéressent beaucoup à Twitch; certains envisageant même de sauter le pas vers ce nouveau format.

C’est l’histoire d’un site dédié au streaming en direct de jeux vidéo. C’est l’histoire de Twitch, visité chaque jour par des millions de viewers pour regarder et échanger sur cet univers. Bien que le gaming et l’esport en soient les thèmes principaux, les contenus se diversifient de plus en plus avec des discussions culturelles par exemple. Depuis décembre 2020, le journaliste et animateur de France Télévision Samuel Etienne y présente tous les matins, ou presque, sa revue de presse intitulée « La Matinée Est Tienne ». Le présentateur de Questions pour un Champion a d’abord été initié par le streamer Etoiles, qui l’avait invité sur ses lives ainsi qu’au Z Event. Samuel Etienne a ainsi découvert le potentiel des interactions spontanées de Twitch, ce qui l’a convaincu qu’il y avait quelque chose à tenter du côté de l’information. Son émission rencontre un franc succès et chacune de ses interventions sont suivies par plusieurs milliers de personnes. Marie, étudiante de 22 ans, a découvert Twitch il y a deux ans. Elle suit désormais fidèlement la revue de presse de Samuel Etienne : « Ce qui me plaît, c’est que l’apprentissage se fait dans les deux sens : il découvre encore les codes de Twitch et il aide son public à comprendre l’actualité ». Cela dit le journaliste de France Télévision n’est pas le premier à proposer un contenu lié à l’actualité, comme le rappelle Clément, 26 ans et fan de la plateforme depuis cinq ans. « Le Stream faisait déjà de l’information. La nouveauté, c’est que ce soit un journaliste professionnel qui parle d’actualité avec nos codes ».

Devant le succès rencontré par « La Matinée Est Tienne », beaucoup de médias cherchent à suivre l’exemple de l’animateur, qui se définit comme un « apprenti streamer ». France Télévision a facilement pu se lancer, portée par un Samuel Etienne déjà populaire sur Twitch. Arte a débuté son émission d’actualité dédiée au gaming « Jour de Play », Ouest-France s’est également jeté à l’eau, et TF1 devrait débarquer prochainement sur la plateforme. En revanche, cette invasion de médias n’est pas vraiment accueillie d’un bon œil par les habitués, comme le confirme Clément. « La plupart n’essayent pas de s’adapter aux codes et au ton du site ». Autre raison de cette méfiance, c’est le souvenir de la condescendance des médias à l’égard de la plateforme il y a quelques années. En effet, avant de s’apercevoir du potentiel de Twitch, les médias traditionnels se moquaient du concept sans chercher à en comprendre l’intérêt. Pour eux l’idée s’arrêtait à « regarder des gens jouer aux jeux vidéo ». Pour Marie, c’est une vision très réduite. « C’est le rassemblement de toute une communauté autour d’une même passion pour en discuter ». « Twitch rapproche le streamer et ses followers grâce au chat en direct. Il y a un échange. C’est selon moi l’aspect le plus intéressant de la plateforme. » ajoute Clément.

Jordan est journaliste web pour Galak6, nouveau média marseillais qui a la particularité de s’intéresser quasi-exclusivement à Twitch. Selon lui, il y a eu une véritable remise en question de la part des médias généralistes, notamment depuis le Z Event. Pour rappel, lors de la cinquième édition de ce marathon caritatif en 2020, 54 streamers sont parvenus à récolter 5,7 millions d’euros au profit d’Amnesty International France. Ce succès a intéressé les médias, et c’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à revoir leur stratégie digitale. Pour Jordan, les médias qui veulent se lancer sur Twitch doivent penser à deux choses. Premièrement, il faut se demander quel contenu proposer, est-ce qu’il s’adapte à la plateforme ? Par exemple, BFMTV, qui a déjà mauvaise réputation auprès des jeunes, s’est lancé en abordant la crise sanitaire, un sujet dont tous les médias parlent déjà. « Si c’est pour faire exactement la même chose qu’à la télé, autant en rester là car ça n’intéressera personne. » La preuve, lors du premier live de BFM, le chat était en roue libre et n’a pas épargné la chaîne, allant même jusqu’à des insultes.  Deuxièmement, il faut trouver la bonne personne pour incarner le nouveau format sur Twitch, n’est pas streamer qui veut. « Samuel Etienne est sympathique, ouvert et humble. Il a essayé de comprendre la plateforme et c’est pour ça qu’il est très apprécié. » En résumé, faire de l’information sur Twitch peut être une bonne idée, le tout est de proposer un concept innovent et une personnalité compatible pour le présenter. Sans oublier un invité réellement désintéressé.

Quand les politiques s’en mêlent

Il y a une autre invasion qui fait grincer des dents, celle des politiques. La porte s’est ouverte avec la nouvelle émission de Samuel Etienne « La Rencontre Est Tienne » dont le premier invité a été l’ancien président de la République, François Hollande. Si ce live a été plutôt bien accueilli, le second qui a mis en vedette Jean Castex ne fait pas l’unanimité. Là où François Hollande avait l’avantage de ne plus être en politique, le Premier ministre est en plein exercice de ses fonctions. Cette formalité est difficilement compatible avec la plateforme. Si le live en question a été suivi par 85 000 personnes, se classant ainsi parmi les directs le plus vus dans le monde, un sentiment d’insatisfaction s’en est dégagé. Les internautes n’étaient pas convaincus par la sincérité du Premier ministre.  Sur le chat, on remarquait régulièrement qu’il ne répondait pas complètement à leurs questions. Autre live qui a suscité la polémique, celui organisé par le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. Ce direct à l’Elysée, qui avait réuni des influenceurs pour représenter les étudiants, n’a pas convaincu grand-monde non plus, notamment car il n’y avait pas de réelle opposition en face. La crainte générale de la communauté de Twitch est que les politiques arrivent en masse sur la plateforme pour gagner une tribune dans un milieu qui veut rester loin de ces préoccupations. Cela dit, il faut bien se faire à l’idée que les politiques vont effectivement se saisir de l’opportunité que représente la plateforme, comme le pense Jordan. « La prise de parole de Gabriel Attal sur Twitch n’est qu’un avant-goût de ce que l’on verra dans la communication du gouvernement dans les prochaines années ».

Mathilde Gibillino