Alors que certains fuient les études, Gelena les poursuit à l’autre bout de l’Europe. Cette Russe de 28 ans, juriste dans une entreprise de construction à Moscou, a décidé de s’installer en France pour obtenir un diplôme supplémentaire à la faculté d’Aix-Marseille. « Pour m’inscrire dans ce Master 2, j’ai dû passer deux ans au Collège français de Moscou, en plus de mes cinq années d’études de droit », raconte la jeune fille, avec un fort accent. Elle a rédigé un mémoire en français sur la vie privée et les débats d’intérêt général et a voulu en apprendre davantage. Sur le droit, la France et, le monde.

A l’heure du coronavirus, de la fermeture des frontières et d’une pause pour les échanges internationaux, Gelena a réussi à s’installer à plus de 3 000 kilomètres de chez elle.  « Mon séjour a été compromis à cause des nouvelles restrictions. J’ai mis un mois à obtenir mon Visa, au lieu de deux jours habituellement pour l’espace Schengen ». Satisfaite d’être arrivée à destination, les  nouvelles restrictions annoncées par le ministre de la Santé, Olivier Véran, l’ont fortement déçue. Les bars et restaurants ferment pendant au moins deux semaines. « J’ai l’impression que c’est un cauchemar », rit-elle. Car Gelena l’a annoncé, décomplexée, « je suis venue en France avant tout pour la nourriture, l’alcool et le soleil. » Elle aurait aimé rencontrer d’autres étudiants autour d’un verre ou goûter des plats locaux. En attendant, elle reste dans son studio du boulevard National à Marseille, où les cafards se sont invités. « J’ai acheté des produits, j’espère qu’ils vont bientôt partir. Je suis quand même très heureuse d’être ici », admet l’étudiante, toujours positive. Une joie de vivre décidément exemplaire. Tout ce qu’elle raconte sur ses mésaventures est ponctué par un rire. Originaire de la région de Tchoukotka, près de l’Alaska, la jeune femme précise qu’elle se sentait « loin de tout, au milieu des ours blancs ». Elle se rappelle du froid polaire, de l’immensité, du manque de vie sociale.

Une fille de l’Est, loin d’être à l’ouest

Loin des physiques stéréotypés d’une Russe, on donnerait facilement dix ans de moins à cette petite brune. Ses yeux vert émeraude traduisent un regard sincère et sa tenue décontractée dissimule son anxiété. Difficile pour elle de s’exprimer, à coeur ouvert, en français. Adepte de l’auto-dérision, elle semble gênée quand elle ne comprend pas les questions. Elle emploie des mots comme « nécessaire » ou  « possibilité » mais ne saisit pas « contente » ou « déçue ». Un français littéraire, raffiné bien que timide, comme sa voix. Ses idées, en revanche, sont bien arrêtées. 

Studieuse, pugnace et courageuse, Gelena avait réussi à obtenir une bourse pour étudier gratuitement le droit à l’université d’État Lomonossov, la plus réputée du pays. Elle tient cela de sa famille. Une famille qui l’a baignée dans l’univers du droit et du savoir : une mère directrice d’un cabinet juridique, un père  et un grand-père, juristes. Après quelques années en Ukraine, ils rejoignent Moscou, pour qu’elle et son frère, d’un an son aîné, puissent s’épanouir professionnellement.            

Elle aurait pu s’aventurer aux Etats-Unis ou en Angleterre, car son anglais est quasiment courant mais Gelena a choisi la France. Et elle compte bien y rester. « Ici j’aime le fait qu’il y a plus de libertés. Chacun peut dire et faire ce qu’il veut. Il y a moins de règles sociales qu’en Russie », précise la jeune femme. La faute à la politique russe ? Non, selon Gelena, cela vient surtout des vieilles générations. Elle, elle ne sent pas réprimée. « Même si je ne suis pas sûre qu’on puisse tout dire sur Internet en Russie. Des jeunes que je connais ont eu une amende pour avoir insulté Poutine et d’autres hommes politiques sur les réseaux sociaux. Cela arrive rarement, uniquement si tu es actif et constamment en opposition avec le pouvoir », raconte-t-elle avec sincérité. « Poutine, président pendant huit ans ça aurait suffi ! », lance Gelena, avec assurance. Elle, elle le précise, elle se sent libre. Là-bas, autant qu’ici. 

Manon Ufarte