La centaine d’étudiants a quitté l’amphithéâtre David, après s’être enrichie d’une conférence sur Montesquieu et avoir posé aux côtés de l’ancien Premier ministre. Nous nous retrouvons face à Alain Juppé dont le visage chaleureux et souriant est éclairé par les rayons du soleil couchant. Une atmosphère et un lieu chargés de savoir qui se prêtent parfaitement aux confidences de cet amoureux de la littérature. Nous oublions très vite la grandeur de la salle face à la prestance et à la densité des propos de Monsieur Juppé.
S’engager dans une discussion au sujet de la littérature avec Alain Juppé, équivaut à s’immiscer dans une longue et belle relation, chargée d’émotions, d’attention, d’échanges. En tant qu’interlocuteurs, nous entendons et ressentons l’intensité des rapports entre la littérature et Monsieur Juppé. Proust avait raison : « La lecture est une amitié ».
Alain Juppé et la littérature : une relation indéfectible
Cette amitié a débuté très tôt. Dès le collège, Alain Juppé se plongeait dans l’histoire des Trois mousquetaires, celle du Comte de Monte-Cristo, dont il visualise encore la prison du château d’If sur les côtes de Marseille. Pas de grandes bibliothèques chez lui, à Mont-de-Marsan où il a grandi. C’est à la maison de la presse qu’il se procure des ouvrages, en économisant pour se payer la Pléiade qui l’avait fasciné. Ses professeurs l’ont toujours encouragé en ce sens. Enfin, cela est peu dire, puisqu’en classe préparatoire littéraire Khâgne et Hypokhâgne, c’est tout ou presque la littérature française, de la Chanson de Roland à Proust, qu’il se devait d’étudier : « Un peu par obligation, mais aussi par plaisir », nous confie-t-il humblement. Une autre période qui l’a beaucoup marqué est celle de son agrégation en lettres classiques. Son souvenir est intact quand il s’agit de citer les auteurs au programme : « Villon, Musset, Apollinaire…». Auteurs qu’il aime redécouvrir périodiquement.
Une curiosité d’esprit concordant avec une diversité de styles et de courants littéraires
La variété des styles littéraires se retrouve dans les lectures aussi bien que dans les écrits d’Alain Juppé. Avec quatorze ouvrages à son actif et bien plus de lectures que les 787 volumes de la Pléiade, l’auteur comme le lecteur est passionné aussi bien par l’essai, le roman policier ou historique, la poésie, que le livre universitaire. Sur sa table de nuit, Les Lettres persanes de Montesquieu côtoient le dernier roman d’Amélie Nothomb. La prose et les descriptions du voyage de Chateaubriand en Amérique (pas toujours conformes à la réalité selon Tocqueville) jouxtent la couverture des pronostics chiffrés et la rigueur universitaire de Graham Allison dans son ouvrage Vers la guerre. Pendant ce temps, Proust se laisse surprendre par la langue heurtée de Céline dans Voyage au bout de la nuit qu’il vient de relire.
Par la fenêtre, non loin de cette table de chevet, devant sa maison de Hossegor: la mer. Celle décrite dans un poème de Valéry qu’il aime tant : « Ce toit tranquille, où marchent des colombes, Entre les pins palpite, entre les tombes ; Midi le juste y compose de feux La mer, la mer, toujours recommencée ». Ce paysage lui est familier, si ressemblant à celui de son enfance dans les Landes.
La littérature à l’ère du XXIe siècle
Bien que la liseuse numérique n’ait pas conquis le lecteur Alain Juppé, l’ordinateur est quant à lui devenu un précieux allié pour l’auteur. Il a en effet un avantage et pas des moindres, le bouton de correction que n’a pas la feuille papier. Un outil qui permet : « de ne pas avoir à réécrire toute la page lorsque je souhaite faire une modification : j’aime les pages propres » nous avoue-t-il.
Les émotions au cœur des mots
Par la lecture, ou plus précisément par les mots, ceux posés sur papier dans Le livre d’or de la poésie française de Pierre Seghers ou ceux qui résonnent dans la voix de Léo Ferré quand il reprend en chanson Les fleurs du mal, l’émotion s’installe. Tel est le ressenti d’Alain Juppé pour qui la mélodie des mots, le mouvement des phrases qui se succèdent, font résonner en lui plus d’émotions que la vision d’un paysage ou de l’art plastique.
Alain Juppé et Jacques Chirac, des similitudes à l’amitié de Michel de Montaigne et Étienne de La Boétie
Alain Juppé explique que le degré d’intimité qu’il partageait avec Jacques Chirac n’était pas si étroit que celui qui semblait lier Michel de Montaigne et Étienne de La Boétie en leur temps. En effet, le Premier ministre n’était pas intégré au cercle familial de son ami. Pourtant, ces deux amitiés ont un point commun, celui du partage; notamment en littérature. L’ancien président Jacques Chirac admirait la poésie, particulièrement les poèmes japonais. C’est ainsi qu’Alain Juppé a été initié à la lecture des Haïku. Mais aussi à la découverte de l’Asie centrale de G. Khan, dans Le loup bleu de Yasushi Inoue dont Chirac lui avait offert un exemplaire.
Durant cet échange, s’est dévoilée la profondeur de la passion de monsieur Juppé pour la littérature. Ce soir encore, avant de s’endormir, il s’y replongera.
Alain Juppé
Alain Juppé est né le 15 août 1945. En plus d’être un homme littéraire, il a marqué la vie politique française.
Il a été Premier ministre sous la présidence de Jacques Chirac et a occupé le poste de Ministre dans de nombreux ministères. Porte-parole du gouvernement, élu plusieurs fois député français et européen, Maire de la Ville de Bordeaux ainsi que de sa métropole, Alain Juppé bénéficie d’une carrière politique importante. Il a quitté cette sphère et est, depuis 2019, membre du Conseil Constitutionnel.
Alain Juppé est aussi écrivain, il a publié de nombreux ouvrages. Le premier, La tentation de Venise a été publié en 1993 et le dernier en date, Mon Chirac. Une amitié singulière en 2020. Ce dernier a reçu le prix de littérature politique Edgar Faure la même année.
Clarisse Athimon et Manon Ladegaillerie