© Marie Scagni

 

Alors que nous célébrons aujourd’hui mardi 8 mars la Journée internationale des Droits des femmes, la lutte contre les inégalités de genre demeure un combat du quotidien. Dans la sphère professionnelle, la condition des femmes tend à s’améliorer mais les discriminations et le sexisme persistent. C’est notamment le cas dans le métier de journaliste qui, certes, se féminise mais reste profondément marqué par les inégalités de genre.

 

« Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les rédactions, et c’est tant mieux ». C’est le constat positif de Séverine Battesti-Pardini, journaliste depuis près de 20 ans. Effectivement, selon l’Observatoire des métiers de la presse, 47% des journalistes étaient des femmes en 2019. La professionnelle de 44 ans déplore cependant que « les inégalités concernent avant tout la possibilité d’accéder à des responsabilités et, de ce fait, les salaires », ce qui se confirme par les chiffres de l’organisme, montrant que les femmes n’occupent même pas un tiers des postes de direction en 2018. « Ce sont elles qui subissent le plus la précarisation du journalisme», dénonce-t-elle également. En effet, ces dernières étaient surreprésentées parmi les pigistes (53,2 %) et les journalistes en CDD (53 %) en 2019.

Au-delà des chiffres, le milieu du journalisme demeure empreint d’une domination masculine, même si des progrès sont observés.

 

Léa Mormin-Chauvac, 29 ans, est journaliste indépendante et féministe. Ayant principalement travaillé pour Libération, France Culture et la revue féministe La Déferlante, elle nous livre son expérience de femme journaliste ainsi que sa vision du traitement des sujets féministes au sein des rédactions.

 

Est-ce plus compliqué pour une femme d’exercer le métier de journaliste ? 

Léa Mormin-Chauvac : Oui, comme dans la plupart des métiers où il y a une prédominance masculine. Les hommes peuvent plus facilement s’affirmer, ce qui joue pour accéder aux postes haut placés et sur la répartition des sujets. Mais je pense qu’à un moment de leurs carrières, les femmes y parviennent aussi, c’est juste plus compliqué. Il y a aussi beaucoup de mansplaining* mais ça c’est comme dans toutes les sphères de la société…

Quelles sont les principales inégalités entre les femmes et les hommes  ?

« Les inégalités se trouvent essentiellement au niveau des salaires. Parmi les différents freins qui empêchent les femmes d’avancer dans leur carrière, il y a notamment la question de la maternité car ce sont principalement elles qui s’occupent de leurs enfants. Il y aussi un phénomène d’exclusion et d’auto-censure. »

 

Selon vous, par quels moyens serait-t-il possible d’améliorer la condition des femmes dans les rédactions ?

« Déjà, diversifier le recrutement. Il faudrait aussi mettre en place des stratégies pour permettre de meilleures conditions pour accueillir les femmes dans les rédactions. Par exemple, quand je travaillais pour Libération, j’ai remarqué qu’il y avait des crèches sur place pour permettre aux femmes de s’organiser plus facilement. »

 

Est-ce une sphère professionnelle où le sexisme est ambiant ?

« Les femmes reçoivent parfois des remarques déplacées dans les rédactions mais le mouvement Me Too et l’affaire de la ligue du LOL ont permis, dans une certaine mesure, un changement dans le comportement des hommes. Pas forcément par féminisme, car certains le font uniquement pour assurer leurs arrières, mais d’autres se sont véritablement remis en question. »

 

Mise à part une plus grande égalité, que pourrait changer une présence accrue des femmes dans les rédactions, notamment dans les postes de direction ? 

« La présence des femmes, surtout à des postes haut placés, permettrait aux jeunes femmes journalistes de se dire que c’est possible. Aujourd’hui, les femmes sont celles qui quittent le plus souvent prématurément la profession. Par contre, je ne sais pas si cela permettrait forcément l’émergence de lignes éditoriales différentes… »

 

La parole féministe est-elle censurée au sein des rédactions des médias traditionnels ?

« Oui, en partie. La plupart des rédacteurs ont peur de s’emparer de ces sujets, pour garder un certain équilibre au sein de leur rédaction. C’est en partie une question de génération. Les sujets féministes sont rarement considérés comme des sujets vraiment sérieux mais plutôt comme ceux qui plaisent aux jeunes. » 

 

Pensez-vous que la neutralité journalistique sert parfois d’excuse pour ne pas donner la parole aux personnes concernées sur certains sujets, notamment aux femmes ?

« Oui, j’ai la conviction que la supposée neutralité représente en réalité le point de vue des dominants. Ça se remarque même dans la langue française où le masculin l’emporte sur le féminin. Il faut savoir que la parole féministe ne consiste pas uniquement à parler des luttes mais aussi à adopter une vision qui s’éloigne des préjugés, par exemple en évitant de traiter des sujets de mascu’. »

 

Notez-vous des améliorations sur le sujet ?

« Ils sont davantage relayés dans les médias et grâce aux mobilisations, les termes employés dans les journaux évoluent. Par exemple, lorsque qu’un homme tue sa femme, on parlera davantage de « féminicide » et moins de « crime passionnel », ce qui était avant un terme banalisé dans les médias. »

 

Vous travaillez en partie pour La Déferlante, une revue féministe. Pour vous, quel est l’utilité des médias féministes dans la lutte contre les inégalités ?

« Comme la parole féministe n’est pas dominante dans les médias, ce type de rédactions permet d’avoir des publications dédiées aux femmes et d’avoir un espace dans lequel ces sujets peuvent être écrits et lus. C’est important. « 

 

Avez-vous des conseils à donner à des futures femmes journalistes ?

« Il faut s’affirmer et ne rien laisser passer car ce n’est pas ce qui nous permet de faire carrière, bien au contraire. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire car on n’ose pas toujours et on sait les violences que peuvent subir les femmes. »

 

* Mansplaining : situation dans laquelle un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte, sur un ton paternaliste ou condescendant.

 

Marie Scagni