Les artistes face au Covid-19 : le combat pour la passion
22 juin 2021
Le maintien de l’ouverture des studios d’enregistrement reste la grande victoire des artistes en cette période trouble. Comment ces derniers se sont-ils réinventés durant cette période ? Comment se déroulent les séances d’enregistrements avec les mesures imposées ? Éléments de réponses dans un studio d’enregistrement à Avignon avec Luc, créateur de son label, « Gang France ».

 

Les Artistes de musique toujours au studio en crise sanitaire : unique lueur dans l’ombre

C’était leur bataille, leur cheval de Troie. Excédés de voir leur flamme artistique s’éteindre, de subir l’arrêt de leur métier, les artistes ont obtenu leur Graal à l’orée du second confinement. Le 29 octobre, Jean Castex dans un discours précisant les nouvelles mesures du deuxième confinement, autorisait « le travail préparatoire aux spectacles, les répétitions, les enregistrements et les tournages afin de préparer les activités de demain ». Un succès nécessaire pour ces professionnels comme Luc Grandcoing, qui ont vu les studios sur l’ensemble de l’hexagone maintenus à l’accueil des artistes. 

Survêtement Adidas , Air Max aux pieds, veste zippée, barbe fournie, Luc a plus la dégaine du hipster que du rappeur. Il nous donne rendez-vous chez lui, en début d’après-midi, dans son home studio, dans son antre, sa tanière comme il aime l’appeler. L’endroit lui ressemble, lumineux et sombre à la fois. Un micro négligemment posé dans un coin, une carte son, deux fauteuils en cuir et une dizaine de néons qui viennent illuminer le tout. Le jeune homme n’a pas besoin de plus. « Ici, c’était la cuisine d’été, mes parents en rêvaient, quand ils ont su ma passion pour la musique et mon projet, ils l’ont fermée pour moi. »

Le studio d’enregistrement monté par Lukito, au domicile de ses parents, pouvant accueillir jusqu’à huit personnes.

Lukito a commencé le rap il y a quatre ans. A l’écouter, le rap lui est tombé dessus comme un grand amour. Le jeune artiste va passer ses nuits sur les logiciels de son afin de pouvoir s’enregistrer tout seul et fait un crédit de 10 000 euros pour l’achat de matériel de studio, avec pour objectif de « rendre crédible ce projet ».Devenir le meilleur artiste possible et vivre financièrement de sa passion. 

L’histoire est belle mais elle est freinée par l’arrivée du Covid-19 en France et l’annonce du confinement. L’artiste avignonnais continue d’enregistrer ses propres sons mais très vite la nécessité d’engranger des bénéfices se fait ressentir pour rembourser son crédit.  « Il fallait que je trouve une solution mais tout en restant dans le son.«   précise t-il. Après plusieurs mois de réflexion, il prend la décision en mai 2020 d’ouvrir son studio au public et d’enregistrer les artistes qui débutent.  

Aujourd’hui, le travail paye « J’ai désormais une vingtaine de clients réguliers qui viennent sur un mois. Au vu du contexte, je les autorise à venir avec deux accompagnateurs maximum qui doivent garder le masque ».

Car si l’artiste subit les conséquences de la crise sanitaire, il tient au respect des réglementations imposées et ne souhaite prendre aucun risque dans son lieu de travail. Le matériel est désinfecté régulièrement, le microphone en priorité, le studio aéré toutes les heures et le port du masque est désormais exigé, il se montre intransigeant avec les clients sur ce point. Derrière cette autorité affirmée, le jeune entrepreneur souhaite néanmoins préciser que la prise de conscience sur ce point est collective.

L’émotion ressurgit une nouvelle fois à l’évocation de son ressenti sur les autres, « Je sens un réel soulagement de la part des gens qui viennent » précise t-il. Les artistes viennent évacuer, cracher, hurler leurs sentiments et leurs écrits derrière le micro.

Exprimer toute sa rage, c’est exactement ce qu’est venu faire Kais, transformé en KX pour la scène, jeune artiste avignonnais de 20 ans. C’est à 14 h 30 que le jeune homme débarque. Ce n’est pas la première fois que le rappeur originaire du quartier de St Jean vient enregistrer chez Lukito. « On a noué une vraie relation de confiance, ça doit être la cinquième ou sixième session pour moi ici, j’ai entendu parler du studio par le biais d’un post Instagram, vu que j’aime prendre beaucoup d’heures pour faire plusieurs sons, les tarifs que proposait Luc étaient super intéressants » nous précise t-il.

D’ailleurs ce jour là, il a réservé trois heures, il n’y a pas une minute à perdre. L’artiste est limité par le temps dû au couvre feu « c’est surtout les limitations d’horaires qui sont pour moi handicapantes, le reste je m’en accommode, je veux bien respecter mais c’est vrai que j’aimais bien venir enregistrer tard le soir, c’est une ambiance plus sombre qui me ressemble plus » regrette t-il.

Ce coté écorché vif se ressent immédiatement chez Kais, il n’y a qu’à entendre le récit de son parcours pour comprendre. « J’ai commencé la musique en foyer à Orange. J’avais 14 ans, j’avais besoin de m’exprimer, de faire sortir ma rage. C’était un exutoire, c’est devenu ma passion et maintenant je veux en faire mon métier ». Et le travail commence à porter ses fruits, le jeune d’origine algérienne cumule déjà près d’un million de vues sur Youtube. Il a néanmoins lui aussi était touché par cette crise sanitaire « C’est psychologiquement que ça été le plus dur, le fait d’avoir moins d’interactions sociales, ça a forcément joué sur ma créativité » assure t-il. Mais ce que regrette le plus profondément Kais c’est l’arrêt des concerts « j’en ai fait un juste avant le confinement au parc Chico Mendes, c’était magnifique, j’ai hâte d’en refaire » s’exclame le jeune rappeur. L’espoir renait avec l’annonce de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot qui a annoncé la possibilité de voir dès cet été, les festivals se dérouler avec des mesures strictes, notamment une jauge à 5000 personnes.

Pour observer les effets de la période incertaine que vivent tous les intermittents du spectacle, il n’y a qu’à observer Kais au travail en train de prendre un plaisir sans pareil derrière le microphone et qui laisse ressentir dans chaque mot son bonheur de faire ce qu’il aime. Son premier son est « un son d’été » selon lui. Les yeux fermés, dans sa bulle, Kais glisse à Luc « envoi la prod frérot ». Il s’élance sur une instrumentale plutôt latine et s’égosille d’un texte où il conte la trahison de « ses potos qui ne monteront plus dans l’auto ». Des textes toujours très durs et réalistes pour le rappeur mais qui essaye néanmoins avec ce type de son de sortir de sa zone de confort.  « On est obligé de se réinventer, pas totalement mais j’ai eu envie après cette période très dure de parler de choses plus profondes et de rassembler les gens dans mes textes, apporter de la positivité » nous souffle le jeune homme. Rendre, donner un peu de joie aux gens à travers leur musique, voilà le leitmotiv de ces artistes qui se battent pour eux, leur passion, leur avenir  mais aussi ceux de leurs auditeurs. Pour cela, la démarche de laisser les studios ouverts aux artistes apparaît comme d’autant plus essentielle, pour tout le monde. Elle est, pour le moment, la seule lueur d’espoir pour ces gens qui croient et espèrent à un futur moins obscur. 

 

Rayan Allaf