Mercredi dernier, le président de la République a annoncé la mise en place d’un couvre-feu à 21 heures dans plusieurs métropoles, ce qui n’a pas manqué de faire réagir les salles de spectacle. Le lendemain, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a demandé un assouplissement pour les spectateurs munis d’un billet. Cela leur aurait permis d’avoir le temps de rentrer chez eux et donc de sauver les séances de 19h30. Mais rien à faire, cette requête a été rejetée.

« Cette annonce génère à nouveau de l’anxiété. On pensait pourtant qu’elle avait atteint son paroxysme. C’est dramatique pour l’ensemble du milieu de la culture » nous confie une employée qui n’a jamais travaillé ailleurs qu’au cinéma Le Renoir. Les séances du soir restent des séances importantes, surtout celle de 20 heures. Les foules ne se précipitent plus à la séance de 22 heures depuis bien des années. Certains films vont donc encore préférer repousser leur sortie. Mais depuis juin dans ce cinéma « même le soir c’est très calme, à part le samedi » précise-t-elle. Cette annonce est d’autant plus difficile à accepter qu’il n’y a eu aucun cas de contamination, que ce soit dans les théâtres ou les cinémas. Rappelons que le protocole sanitaire est très strict. Le ménage est fait dans les salles toutes les deux heures, donc entre chaque séance. Les filtres des climatiseurs sont nettoyés régulièrement, tout comme les caisses et les portes. Mais le gouvernement ne peut pas faire d’exceptions, le personnel en est conscient. C’est tout le monde ou personne. Et pour que le couvre-feu soit efficace, il faut qu’il soit en place le plus tôt possible. 

Le personnel voit son volume horaire se réduire continuellement : cette employée n’en fait plus que quinze, contre 30 auparavant. Elle bénéficie du chômage partiel. « On ne sait pas s’ils vont supprimer des postes. Pour l’instant, la question n’a pas encore été posée, on nous a rassurés, mais sur le long terme rien n’est sûr ». Les aides sont dérisoires au regard de ce que perdent les lieux culturels selon la directrice du théâtre de La Fontaine d’Argent à Aix, Fabienne Becu. « Il faut un bac +15 en comptabilité pour obtenir une aide tant le dossier administratif est compliqué. Il faut payer un expert-comptable ». Pour 16 000 euros de recettes, les pertes s’élèvent à 300 000 euros. « Nous travaillons pour rien » confie-t-elle, excédée. La salle du théâtre est petite et il faut rémunérer les 3 salariés. La directrice ne peut plus compter sur le bistrot dont dispose son théâtre, les séances étant avancées à des horaires moins propices à la consommation. Son école de théâtre compte moins d’inscrits que l’année précédente et avec le couvre-feu les cours sont annulés après 20 heures. La directrice cherche à solliciter d’autres salles pour compenser : elle appelle cela le « hors les murs ». Trois dates sont déjà prévues au théâtre du Jeu de Paume à Aix. 

Une fois de plus, les salles n’ont d’autres choix que de s’adapter. Pour la semaine du cinéma hispanique, plusieurs films ne devaient passer qu’à 20h30. Ils sont tous reprogrammés. Les avant-premières sont également décalées. Les acteurs et réalisateurs venant présenter leurs œuvres sont conviés à venir plus tôt, souvent vers 18 heures. « La présence des équipes de tournage est indispensable » affirme un employé du Mazarin. En ce qui concerne le théâtre de La Fontaine d’Argent, toute la programmation a été bouleversée. Deux spectacles ont lieu le samedi. Le premier commence désormais à 17h30. « On avance les spectacles mais on n’est pas certain que le public va suivre » précise Fabienne Becu. Pour l’instant, aucun spectacle n’a été annulé en dehors des artistes touchés par le virus (ou cas contact) et de celui d’Anthony Kavanagh, le célèbre humoriste québécois. 

La situation économique des salles, que ce soit les cinémas ou les théâtres, était déjà particulièrement critique. Avec le soutien du département, l’Union des cinémas UCF et Cinémas du Sud & Tilt ont mis en place l’opération « Tous au Cinéma » dans 50 salles des Bouches-du-Rhône. A partir du mercredi 7 octobre, pour une place achetée, une place était offerte. L’offre vaut également pour les abonnés. « Un certain nombre de places gratuites a été distribué : 900 au Renoir et 240 au Mazarin » nous explique une employée. Malgré cela, les salles ne se remplissent pas. L’offre devait initialement durer un jour, elle s’est prolongé pendant une semaine. Les lieux de projection français ont perdu 50% de leur clientèle pour les cinémas d’art et d’essai et 70% pour les multiplexes. Rendez-vous dans six semaines. 

Elisa Hemery