Apiculture : père et fils, piqués par la passion des abeilles
28 juin 2021
Le printemps est là, les abeilles vont pouvoir sortir de leurs ruches après une période hivernale passée à l’abri. Deux apiculteurs bretons ouvrent les portes de leur rucher d’Irodouër, en Ille-et-Vilaine. Ils préparent la nouvelle saison de ces indispensables pollinisatrices.

En avril 2020, Christophe et Maxime ont été appelés pour récupérer un essaim.

Le soleil illumine les toits en taule des ruches bretonnes : les beaux jours arrivent. Equipés de leurs vareuses d’apiculteurs, Christophe et Maxime, père et fils, s’apprêtent à rendre visite à leurs abeilles. L’un de leurs ruchers se compose d’une cinquantaine de ruches et d’une vingtaine de ruchettes. « Les ruches sont les maisons définitives des abeilles. Souvent, elles ont d’abord passé presqu’une année dans une ruchette », explique Christophe, apiculteur professionnel à Irodouër, en Ille-et-Vilaine. Les ruchettes permettent de recueillir un essaim. La période d’essaimage est très courte mais essentielle à la survie des abeilles. « Sur deux semaines environ, à la fin du printemps et juste avant l’été, on assiste à ce phénomène naturel », complète Maxime, son fils. « La reine de la ruche fabrique quelques cellules royales, l’une deviendra reine. Il ne peut y avoir qu’une seule reine dans la ruche.

 

 

Maxime a retiré les cadres de l’intérieur de la ruchette. A l’aide d’une brosse à abeilles, il fait tomber l’essaim dans la ruchette.

Alors, la nouvelle jeune reine va partir, suivie par une partie des abeilles de la ruche. Un nouvel essaim vient de se former ». Récupérer ces grappes d’abeilles représente plusieurs enjeux : assurer la pérennité des espèces, en leur offrant une habitation dans une ruchette, et permettre aux apiculteurs de vivre de leur exploitation en ayant suffisamment d’abeilles pour produire une quantité de miel satisfaisante. Une fois l’essaim recueilli dans la ruchette, composée de cinq à six cadres, il pourra y grandir et se renforcer pendant presqu’un an. Ensuite, l’essaim rejoindra une ruche, comprenant deux fois plus de cadres, destinée à la production de miel.

 

 

Une histoire de transmission

Sur ce rucher d’Irodouër, père et fils travaillent ensemble. Christophe, 68 ans, fête cette année ses 50 ans d’expérience professionnelle auprès des abeilles. Son fils de 33 ans, Maxime, a été piqué par la passion de son père dès son plus jeune âge. « Depuis petit, je tourne autour des ruches, je donne un coup de main à mon père de temps en temps. Mais initialement, je ne pensais pas en faire mon métier », se souvient-il. Après un BTS mécanique, le jeune homme a eu une carrière de quelques années dans l’automobile. A la suite de difficultés professionnelles, Maxime décide de reprendre le cheptel familial. « C’était une voie toute tracée. Ça n’allait plus dans mon métier. Je voulais quitter le milieu. Et puis, mon père prenait de l’âge ! » ironise-t-il. « Je sais ce que ces ruches représentent pour lui. Reprendre son exploitation ne pouvait que lui faire plaisir et le rendre heureux ».

Aujourd’hui pleinement soutenu par son fils, Christophe parle d’une « transmission familiale, d’une passion génétique ». Fiers de ce « passage de flambeau », la transmission du savoir est au cœur de leur métier. Tout au long de sa carrière, Christophe a pratiqué une apiculture très traditionnelle, laissant faire la nature avec ses aléas. C’est cette connaissance qu’il a léguée à son fils. Avec la reprise des ruchers par Maxime, les rôles auraient tendance à s’inverser. Le fils a souhaité se former à des techniques d’apiculture particulières, notamment au « picking ». « C’est une pratique qui consiste à faire de l’élevage de reines d’abeilles. C’est assez compliqué, ça demande beaucoup de précision et de délicatesse. Je suis encore des formations pour apprendre », explique Maxime.

Au bout de la pince, le dard d’une abeille est relié à sa poche à venin.

Il s’intéresse aussi de plus en plus à l’apithérapie, qui utilise les produits de la ruche pour se soigner. « C’est Aristote qui disait ‘’La ruche est une pharmacie’’. Je suis tout à fait d’accord avec lui ! La ruche est pleine de ressources, au-delà du miel. Beaucoup de personnes ont peur de se faire piquer, par exemple. Certes, c’est un peu douloureux, mais le venin d’abeille est un remède insoupçonné contre les douleurs inflammatoires notamment ». Autant d’apprentissages qui passionnent Maxime, auxquels il initie son père.

 

 

 

La miellée se prépare même pendant la saison hivernale

Avant l’arrivée de l’hiver, les apiculteurs installent les sachets de candi. Ils créent une ouverture à l’aide d’un couteau, qu’ils font correspondre avec l’ouverture ronde du haut de la ruche. Les abeilles passent par cet accès pour se nourrir du candi.

L’hiver s’achève et le printemps s’annonce. Christophe et Maxime doivent constater l’activité des ruchettes, s’assurer qu’elles ont résisté au froid. L’essaim doit être suffisamment développé pour pouvoir être installé dans une ruche qui permettra la production puis la récolte du miel. Ce transfert doit s’effectuer au tout début de la saison printanière. Tout est mis en œuvre pour aider les abeilles à survivre au froid de l’hiver. « Juste avant les baisses de températures, nous leur donnons à manger, des sortes de provisions », explique Maxime. Il s’agit d’un sachet rempli d’un dérivé du sucre, appelé candi. Les apiculteurs le déposent sous le toit de la   ruchette et les abeilles y ont accès depuis l’intérieur. Elles s’y rendent pour se nourrir.

« Cette année, l’hiver a été particulièrement rude. La neige est tombée en Bretagne et a tenu plusieurs jours. Ce sont des conditions climatiques assez rares dans la région, qui ne sont pas sans répercussion sur nos ruches », s’inquiètent les deux apiculteurs. Ils ont d’ailleurs perdu une de leurs ruchettes cet hiver. Avec l’arrivée des beaux jours, les abeilles reprennent de l’activité. Le soleil stimule la ruche. « A ce moment, on a bien vu que cette ruchette ne foisonnait pas de vivacité. On l’a ouverte, elle était décimée. En sortant les cadres de la ruchette, on a constaté que les dernières abeilles s’étaient regroupées, sous forme de grappe, en un seul endroit. Leur instinct de survie a parlé : se rassembler pour maintenir le peu de chaleur et pour protéger leur reine ».

Toutes les ruchettes sont destinées à rejoindre une ruche. Ce transfert demande toute une préparation en amont de la saison, si les essaims ont pu passer l’hiver. D’abord les ruchettes sont protégées par des sortes de « muselières ».

De l’automne au début du printemps, les muselières protègent les abeilles des frelons. Capables d’attraper ces ouvrières du miel en plein vol, les frelons sont de véritables prédateurs qui ne cessent de se multiplier. Introduits en France en 2004, par accident, par un bateau transportant une cargaison de poteries importées de Chine, le frelon asiatique se nourrit à 30% d’abeilles (source : INRA).

Elles permettent, tant bien que mal, de contrer le fléau des frelons asiatiques. Seules les abeilles peuvent passer à travers ce grillage, qui trouble la vision des frelons asiatiques. Les muselières sont posées le temps de la fin de l’automne et de l’hiver, période pendant laquelle, les frelons se nourrissent de protéines, et donc d’abeilles. Ils sont capables de décimer une ruche en moins d’une journée.

Pour faciliter les allées et venues des abeilles ramenant le pollen, les portes – petites plaques métalliques – sont relevées au début du printemps.

Au printemps venu, les frelons sont attirés par le sucre, alors les muselières peuvent être retirées. Les portes sont aussi relevées pour créer une ouverture plus grande aux abeilles entre la planche d’envol et l’entrée de la ruchette.

A présent, l’essaim a pris de la vigueur après son année passée dans la ruchette. Il est prêt pour son transfert dans une ruche, qui se fera d’ici peu de temps avec l’arrivée des beaux jours printaniers.

 

En rouge, la hausse permet la récolte du miel pour la consommation humaine. En bleu, le corps de la ruche où vivent les abeilles toute l’année.

Christophe et Maxime organisent deux récoltes par an : une à la fin du printemps, l’autre à la fin de l’été. « Les fleurs n’étant pas tout à fait les mêmes suivant les saisons, le miel se présente sous deux textures différentes : crémeux et onctueux, ou liquide » détaille Christophe. La récolte du miel ne se fait que dans la partie supérieure de la ruche, appelée « la hausse ». La partie basse est plus importante, c’est « le corps ». Les abeilles fabriquent du miel dans ces deux parties. Alors que le corps constitue leur principal lieu d’habitation, la hausse est en quelque sorte un grenier. Le miel situé dans le corps leur sert de réserve de nourriture tout au long de l’année, il n’est jamais récolté. La hausse est, elle, récupérée par les apiculteurs et peut contenir une dizaine de kilogrammes de miel. Christophe et Maxime espèrent une récolte généreuse de ce précieux nectar pour la saison à venir. Entourés de leurs milliers d’abeilles, les deux apiculteurs continueront de produire leur « or liquide », comme ils l’appellent, pour plusieurs années encore.

 

Lara Dubois