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​​Après avoir enquêté sur la question de la pollution dans les calanques pendant des années, Carole Barthélémy, maître de conférences à l’université Aix-Marseille, spécialisée en sociologie de l’environnement, nous dévoile la situation préoccupante des Calanques. 

Quel est le contexte historique ?

Pendant très longtemps, on ne s’est pas préoccupé de la question de la pollution des Calanques. Ce qui s’est passé est tout à fait particulier, car ce n’est pas une surveillance étatique qui a révélé la pollution comme dans la plus grande partie des cas. Ici, c’est un conflit entre voisins dans la calanque d’Escalette. Un contentieux entre deux propriétaires a mené à faire appel à la DRIRE aujourd’hui, la DREAL. La Direction régionale de l’environnement suit en effet de près les industries polluantes. Une fois sur le site, ils ont analysé le sol et ont pris peur ! En 2000, on s’est rendu compte que les calanques d’Escalette et Saména sont polluées par des métaux lourds tels que le plomb ou le cadmium. Forcément, les services de l’État s’affolent, font faire des analyses plus poussées sur les sols et les végétaux du milieu marin. 

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L’agence nationale de santé a demandé aux habitants de se faire tester. Le plomb dans le sang n’est pas sans effet pour la santé, cela crée le saturnisme. Très connue, cette intoxication découverte durant l’Antiquité entraîne de graves maladies dégénératives. 

Mes collègues ont étudié tous les aspects de la pollution, il a fallu faire appel aux sciences humaines et sociales afin d’analyser d’où elle provient et comment les habitants vivent avec. A l’aide d’historiens qui ont travaillé pendant un an et demi sur les archives, nous avons publié un gros livre, « L’histoire industrielle des calanques ». 

 

Pourquoi y avait-il des industries dans les calanques ? 

Il faut remonter au 19ème siècle où l’activité économique de Marseille nécessite des usines de fabrication de soude et de plomb. Généralement, lorsqu’une industrie s’installe, d’autres viennent autour. Marseille est un port ce qui facilite et accélère les choses. La pollution a stagné là durant un siècle et donc par le hasard d’un conflit, l’État s’en rend compte. Aujourd’hui, nous sommes en 2023 et rien n’a été fait pour la gérer !

 

Une fois que les sols sont pollués, qu’est-ce que nous pouvons faire ?

Soit on vient avec des camions gratter les sols et on les stocke dans des décharges à sol pollué, ce qui a été fait à l’Estaque. Soit on le confine. Il y a aussi le système de toile végétale qui stock les pollutions. Cependant, tout ça coûte très cher et depuis 20 ans il n’y a pas eu d’investissement, ni de l’État, ni des collectivités locales, personne n’a mis l’argent pour dépolluer.

 

Que pensez-vous de cette situation ?

Je pense que le fait que les calanques soient devenues un parc national complique les choses. On ne peut pas venir en bulldozer car il y a des espèces à protéger. Il y a eu des travaux sur la plage de Saména, vous ne risquez plus rien mais sur les bords où les gens se plaignent, il y a plein de scories. Voilà l’état de la gestion de cette pollution par les acteurs publics. Ça me pose problème. On a alerté il y a 20 ans mais on n’a rien fait ! Après, je conçois que ce soit compliqué, les acteurs de l’État comme les collectivités locales n’aiment pas trop communiquer là-dessus. 

 

Comment dépolluer les sols ? 

Mes collègues étudient les végétaux qui s’y trouvent parce que malgré toute la pollution, ils survivent. C’est une végétation évidemment très méditerranéenne. Ils ont la capacité de stocker les polluants c’est-à-dire qu’ils ne vont plus se diffuser. Ça reste expérimental. On appelle ça les solutions fondées sur la nature. On va rechercher ce que la flore fait naturellement. 

 

Que pensent les habitants de la situation ? 

J’entends souvent « les gens sont dans le déni », c’est complètement faux ! Les habitants savent très bien que c’est pollué. Pour les plus anciens, leurs grands-parents travaillaient dans ces usines. J’ai retrouvé ces personnes pour mes enquêtes. Je peux vous affirmer qu’ils savaient bien que c’était pollué. D’autant que la dernière usine Legré-Mante a fermé il y a une dizaine d’années. C’était une usine d’acide tartrique, très polluante qui en plus sentait mauvais. Ils me racontent comment ils se baignaient et tout d’un coup, ils avaient un effluent blanc autour d’eux qui est une réaction anormal et un potentiel signe de pollution. Les habitants le savaient mais l’usine faisait vivre donc on n’allait pas trop embêter le patron. 

Les nouveaux habitants sont beaucoup plus dans la contestation. Aujourd’hui il y a une forte mobilisation à Legré-Mante car il y a un projet immobilier sur ce site. Il a été racheté par un promoteur et ils se battent contre la construction. Donc moi, je suis cette opposition depuis 10 ans. 

Ils ne se revendiquent pas contre le projet immobilier, ils sont soucieux de dépolluer les lieux, ils veulent que tout soit bien fait. Ils sont très inquiets car pour la construction ils vont devoir gratter le sol. Ils désirent des garanties ce qui provoque des conflits avec le promoteur.

 

Que devrions-nous faire ? 

On est dans un cas d’école où il y a pas mal de paradoxes. 

En tant que sociologue je dirais qu’il faut associer les gens. Même s’ils y vont fort, ils ne se laissent pas faire, surtout à Marseille ! Il faut dialoguer avec eux et écouter leurs revendications. Pour moi, il faut mettre en place une vraie gouvernance. C’est-à-dire des espaces où les habitants, les chercheurs, le parc, les associations, les services de l’État travaillent ensemble pour imaginer des nouvelles manières de vivre avec les pollutions. Parce qu’il n’y a pas que le problème des sols, il faudrait mesurer la pollution de l’air un dimanche, ça devrait être pas mal ! Il faut voir de manière systémique et globale l’avenir de ces quartiers. Et je pense que les services de l’État et la collectivité n’en sont pas encore là.

 

Est-ce que les habitants sont en danger ? 

Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’étude sanitaire. On ne sait pas si des gens sont plus malades là-bas qu’ailleurs. C’est un vrai problème, on est tous inégaux face aux problèmes environnementaux. Il peut y avoir des personnes qui sont malades et d’autres non, il y a des capitaux génétiques qui jouent. Quand je fais mes enquêtes, certains me répondent « la voisine a vécu jusqu’à 100 ans» mais on ne sait pas de quoi est morte une autre voisine. On est face à des incertitudes complexes à gérer par les politiques. Ça pose de nouvelles questions.

 

Emmanuelle Audibert