Felipe Licandro, chef de Licandro le Bistrot, à Aix, s’approche du zéro déchet ©Magistère DJC

Chaque année en France, 10 millions de tonnes d’aliments sont gaspillés. Une perte considérable représentant 16 milliards d’euros, d’après les chiffres officiels du gouvernement. Si la restauration n’est pas le premier secteur mis en cause – 14% des pertes – ce gaspillage représente un défi quotidien pour les restaurateurs. Au-delà d’un souci économique, limiter les pertes alimentaires permet de réduire ses émissions de CO2. 

Depuis 2015, la “loi anti-gaspillage pour une économie circulaire” vise une diminution du gaspillage de 50 % dans la restauration commerciale d’ici 2030. Un objectif ambitieux mais nécessaire au regard de l’urgence climatique. Dans un contexte d’inflation grandissante, la réduction du gaspillage alimentaire apparaît comme un outil efficace pour allier ambitions écologiques et difficultés économiques. De nombreux restaurateurs œuvrent quotidiennement pour entrer dans cette démarche.

S’adapter pour moins gaspiller

De la préparation des repas aux doggy bags, en passant par les techniques de conservation, les restaurateurs doivent faire évoluer leur manière de travailler pour moins gaspiller. Dans son restaurant Licandro Le Bistrot à Aix-en-Provence, Felipe Licandro “s’approche du zéro déchet”. Pour cela, le chef d’origine espagnole s’arme de techniques et de matériel adéquats :  “je pratique la pasteurisation et la stérilisation, ce qui me permet de stocker la marchandise assez longtemps pour minimiser les pertes. Certes, il s’agit d’un investissement mais cela permet de réduire mon gaspillage”. 

Dans l’élaboration de ses menus, le chef opte pour une utilisation intelligente et presque intégrale des produits. “Il m’arrive d’adapter mes menus en fonction des stocks. La semaine dernière, je cuisinais les blancs de poireau en compotée ou accompagnés d’une vinaigrette, et j’utilisais le vert dans le bouillon qui me servait à mouiller le risotto”. Malgré tout, se lancer dans une quête radicale contre le gaspillage lui paraît insensé et contre-productif : “Quand il me reste un peu trop de vert, je préfère jeter ce surplus plutôt que de faire couler des litres d’eau pour relancer un bouillon que je devrais congeler plusieurs jours avant de l’utiliser”.

Derrière le gaspillage, une délicate gestion des stocks 

Véritable casse-tête pour de nombreux restaurateurs, une mauvaise gestion des stocks se retrouve souvent à l’origine d’un gaspillage alimentaire trop élevé. Pour y parvenir, l’étape de sélection des produits et des fournisseurs est essentielle. Dans un webinaire intitulé “6 leviers pour rester éco-responsable dans un contexte d’inflation”, Camille Delamar, co-fondatrice d’Écotable, souligne l’intérêt de commander moins, mais plus fréquemment : “cela évite le surstock et donc le gaspillage”. Pour Camille Labro, journaliste au Monde, il est important de “choisir des légumes biologiques, cultivés sans pesticides, pour pouvoir les utiliser dans leur totalité. La peau et les fanes des végétaux peuvent être très goûteuses et faire de savoureux bouillons, chips ou purées”. Dans son Livre Blanc de la Gastronomie Responsable, l’auteure ajoute que les livraisons de produits dans leur intégrité, y compris les animaux, permettent de réduire son gaspillage, à la condition évidente d’utiliser les os et les carcasses. Ce procédé permet de contrer les processus de découpe industrielle. Particulièrement émettrice de gaz à effets de serre, l’industrie agro-alimentaire est responsable de 32 % du gaspillage, toujours selon le gouvernement, soit 2 fois plus que la restauration commerciale.

Au-delà de l’assiette, le gaspillage s’attaque aussi aux boissons, notamment celles servies au verre. “Lorsque j’ai ouvert Licandro le Bistrot, j’éprouvais des difficultés à ne pas gaspiller, le champagne notamment. J’ouvrais régulièrement de grandes bouteilles pour ne servir qu’une poignée de flûtes. Depuis peu, j’utilise des bouteilles plus petites, ce qui me permet de ne pratiquement plus gaspiller de champagne », se réjouit le chef aixois.

Bien que l’objectif d’un établissement zéro déchet relève de l’idéal, le gouvernement a enclencher les prémices du changement. Depuis le 1er juillet 2021, l’utilisation des doggy bags, permettant aux clients d’emporter les plats qu’ils n’ont pas pu terminer, est devenue obligatoire. Une bonne manière de lutter contre le gaspillage, même si la marche reste haute pour inverser la tendance. Désormais, c’est aux restaurateurs d’adapter leurs pratiques et aux consommateurs de se tourner vers les bons établissements. Pour les aider, le label Framheim, fondé en 2017 par Dominique Brechon et Vincent Dantonel, identifie les restaurateurs engagés dans la lutte anti-gaspi. Malheureusement loin de l’exhaustivité, seule une centaine d’adresses est référencée dans toute la France.

Arthur Jégou