Image générée par l’intelligence artificielle Stable Diffusion © Magistère DJC
Midjourney, Dall-E 2 ou encore Stable Diffusion sont des intelligences artificielles génératives d’images qui fascinent autant qu’elles effraient les artistes. Devenues accessibles à tous, les intelligences artificielles n’ont cessé de faire parler d’elles ces derniers mois. Alliées pour les uns, ennemies pour les autres, ces nouvelles technologies prennent de plus en plus de place dans le monde artistique et suscitent de nombreuses réactions. Vincent Mahé, illustrateur freelance (pour la presse française et internationale, l’édition jeunesse et la publicité) se confie sur cette nouvelle forme d’art.

Pensez-vous que l’intelligence artificielle (IA) constitue une révolution qui bouscule le domaine de l’art ?

« J’ai envie de répondre oui par la soudaineté du phénomène. Depuis quelques mois, mon Instagram est envahi d’art IA. Le sujet est sur toutes les lèvres dans mon milieu. L’outil évolue d’un jour à l’autre et les positions des uns et des autres changent presque aussi vite. En avoir peur, lutter, s’en servir, essayer, mixer, capituler… j’entends tout et son contraire. »

 

Les artistes seront-ils en voie de disparition dans les années à venir ?

« En ce qui me concerne, je ne suis pas trop inquiet, car j’ai eu le temps de mûrir ma proposition stylistique avant l’apparition de l’IA. Je fais partie de ceux qui dessinent encore sur du papier, donc à ranger dans la catégorie des artisans. Je vais continuer à faire ce que je sais faire. S’il devait y avoir une inquiétude, c’est surtout sur la quantité de clients dans un futur proche et non pas la qualité de mon travail. Je ne vois pas le métier disparaître mais plutôt se scinder en 3 catégories : 

  1. Les artisans, ceux qu’on viendra chercher pour le côté organique de leur art, estampillé, fait par un humain.
  2. Les artistes hybrides, les petits génies du prompt* IA ou les bricoleurs qui réussiront à intégrer Midjourney dans leur processus créatif. 
  3. Malheureusement il y aura les perdants, ceux qui produisaient un art que la machine reproduit à la perfection, à destination de consommateurs d’images peu regardant sur le créateur, IA ou humain.

Je pense par exemple à ces séries qu’on voyait partout il y a une dizaine d’années sur Internet. Les princesses Disney au style hipster avec des tatouages, les super-héros Marvel en tableau de la Renaissance, etc… Les personnes qui faisaient ce genre d’art n’ont plus aucune valeur face à Midjourney qui digère à la perfection la pop-culture et l’histoire de l’art classique. »

 

L’intelligence artificielle est-elle plus une ennemie (une menace) ou une alliée (un outil pour les artistes) ?

« C’est clairement une ennemie pour ceux dont l’art est devenu obsolète et une alliée pour ceux qui le maîtrisent déjà. Entre les deux le spectre est large… Quelle sera l’attitude des étudiants en art sortant diplômés dans les années 20 ? J’arrive assez bien à imaginer cette hybridation créative à différents degrés. »

 

En tant qu’illustrateur, envisagez-vous de vous en servir dans le cadre de votre métier ?

« Pas pour l’instant. Je suis dans une phase mêlant sidération et observation. Pourquoi pas comme outil de proposition sur lequel s’appuyer quand la page blanche est douloureuse, mais pas pour changer de style ou d’approche du dessin. » 

 

Estimez-vous que les intelligences artificielles s’inspirent ou plagient des œuvres existantes ?

« Beaucoup d’artistes établis sont passés par des phases d’inspiration, d’hommage voire de plagiat avant de trouver leur voie. Imaginons un artiste IA qui rédige un prompt en demandant à Dall-E d’illustrer un article de presse dans le style de tel artiste et qui, ensuite, vend l’image au journal comme sienne. C’est problématique. Maintenant, si le prompt ne mentionne aucun nom mais décrit simplement un style, mais qu’ensuite un artiste se reconnaît comme plagié, que faire ? La ligne est très fine et ça ressemble à un enfer juridique… Le plagiat est parfois assez difficile à prouver légalement entre humains, alors avec Midjourney… »

 

La créativité humaine est-elle en train de s’essouffler au regard de l’émergence des intelligences artificielles ?

« La créativité humaine s’essoufflera si le monde entier décide à l’unisson de se jeter à corps perdu dans cette technologie. Alors, les images tourneront à jamais en vase clos dans le grand mixeur. Heureusement certains esprits plus créatifs que d’autres aiment nager à contre-courant ou faire un pas de côté. C’est vertigineux… »

 

*Prompt : manière de communiquer avec une IA

Virginie Buleté