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Sous l’impulsion de Manon Fleury et Marion Goettlé, l’association Bondir.e créée en 2020 entend bien faire taire la violence, malheureusement récurrente derrière les fourneaux. Du harcèlement moral aux abus de langage, en passant par les agressions physiques, le collectif de cheffes s’engage pour une transformation structurelle du monde de la restauration. En multipliant les interventions dans les lycées hôteliers, Bondir.e traite le problème à la racine.

Le 29 septembre 2020, le monde de la gastronomie est secoué par l’affaire Taku Sekine. Accusé d’agression sexuelle, le chef du restaurant Dersu dans le XIIIème arrondissement de Paris se donne la mort. Un événement tragique qui permet malgré tout à certaines langues de se délier. Sans lien de causalité avéré, le sujet des violences, auparavant sous estimé, est désormais mis en évidence. Le contexte marqué par l’omniprésence du Covid 19 et les multiples confinements n’arrangent pas les choses. De nombreux travailleurs quittent l’univers de la restauration. Au-delà des horaires décalés et des conditions de vie ardues, l’importante rotation qui touche ce secteur n’est pas anodin. Elle est en partie liée aux violences répétées. Face à ce fléau, un collectif de femmes cheffes, à l’instar de Manon Fleury, Laurène Barjhoux, Marion Goettlé ou Justine Pruvot, se forme en 2020. Engagées et persuadées qu’une alternative est possible, ces femmes cheffes créent Bondir.e. Très vite, elles décident d’orienter leurs actions vers les jeunes générations, dans le but de leur donner les clés pour agir et réagir, qu’elles soient victimes ou témoins de violences. 

Dans un premier temps, les écoles de cuisine comme Ferrandi ou Bocuse se montrent réticentes. Pour autant, après la recrudescence d’articles de presse, ces dernières changent de discours et entament même des démarches vers l’association. « Tant mieux, l’idée est de toucher le maximum d’étudiants », se contente Justine Pruvot, membre actif de l’association. Rapidement, les cheffes multiplient les interventions dans les écoles et lycées hôteliers. Au-delà d’un important discours de prévention, ces rendez-vous sont également l’occasion de recueillir des retours d’expériences, souvent bouleversants. « À la fin de nos présentations, nous demandons aux étudiants de partager leurs ressentis, sur un bout de papier, de manière anonyme. Certains témoignages que l’on reçoit prennent au ventre. On se dit qu’en 2023, il y a encore des agissements qui sont aberrants, cela confirme que nos actions doivent perdurer », souligne Justine avec colère et chagrin. Ceci dit, ces violences n’étonnent pas cette cheffe marseillaise. Après une carrière de commerciale en agence média pour des entreprises du Cac 40, Justine Pruvot se reconvertit dans la cuisine. Avant d’intégrer la prestigieuse école Ferrandi, le corps enseignant insiste sur le fait que ce choix de carrière allait être compliqué. Si difficile qu’il mettrait même en péril sa situation amoureuse de l’époque. Durant son premier stage aux côtés d’un ancien chef exécutif du Plaza Athénée, les diverses formes de violence présentent dans ce milieu lui sautent aux yeux. « Après ces quatre mois de stage, j’ai failli arrêter la cuisine. Mais ma rencontre avec Manon Fleury m’a montré qu’une autre forme de restauration était possible ». À nouveau emplie d’espoir, Justine embrasse alors une carrière qui conforte son attrait pour ce secteur. « Comme dans n’importe quel milieu professionnel, à partir du moment où les gens sont reconnus pour ce qu’ils sont et récompensés pour ce qu’ils font, le tout dans un cadre bienveillant, ils ne peuvent qu’adorer leur métier », souligne la cheffe. Désireuse d’étendre son positivisme au plus grand nombre, Justine Pruvot s’est naturellement tournée vers Bondir.e pour promouvoir un milieu de la restauration davantage respectueux de ses acteurs. 

Face au constat de violences encore trop nombreuses, Bondir.e ne s’arrête pas à son rôle préventif. L’association fait systématiquement remonter les informations aux responsables des écoles de cuisine. Un rôle pro-actif essentiel pour endiguer le problème de la violence, d’autant qu’une certaine partie du corps enseignant les reproduit au sein même des écoles. 

Arthur Jégou