L’une des salles de réception du RItz ©Magistère DJC

Avant d’être “starifiés” et propulsés sur les petits écrans, les chefs de cuisine quittaient rarement leurs fourneaux. Reculés dans des cuisines délabrées, leur statut était souvent peu considéré. À l’origine de ce changement de conditions sociales, un emblème de la deuxième moitié du XIXème siècle : Auguste Escoffier. Précurseur de nouvelles conditions de travail, inventeur de plats emblématiques et de techniques culinaires encore omniprésentes aujourd’hui, le jeune chef provincial est parvenu à réaliser son rêve : élever la cuisine au rang d’art. Portrait en deux volets d’un chef artiste visionnaire. (2/2)

Alors que la caractéristique de la cuisine française réside dans la puissance de ses sauces, Auguste Escoffier décide de les alléger. À partir de réductions, qui induisent des concentrations du goût, le chef réduit l’utilisation de liaisons, alors très présentes dans les sauces. Plus généralement, il souhaite apporter à la gastronomie française le goût de son époque. Sans renier les traditions, il souhaite diminuer les fioritures très présentes dans les assiettes, pour se rapprocher du goût originel des produits. Une quête de simplicité, qui rime encore aujourd’hui avec modernité.

Élever la cuisine au rang d’art

Chez Escoffier, les plats sont pensés comme des tableaux. En accordant une importance singulière à l’identité visuelle, il crée le concept de plats signatures. Parmi eux, la “Pêche Melba” est sans doute l’un des plus célèbres. Après avoir écouté la cantatrice Nellie Melba, le chef lui dédie ce dessert composé d’une pêche coupée en deux, servie à température ambiante, accompagnée d’une crème glacée à la vanille, le tout lié par un coulis de framboises. “Un jeu de textures et de températures qui laisse une émotion incroyable”, s’ébahit le chef Thierry Marx. Dans les cuisines du Savoy, Auguste Escoffier crée une recette qui figure toujours à la carte de l’établissement : la “nymphe à l’aurore”. Des cuisses de grenouilles froides, pochées au vin blanc puis enrobées d’une sauce Chaud-froid de poisson, sur laquelle est superposée une gelée de champagne.

Remarquable à l’appellation de ce plat, l’artiste Escoffier se distingue tant par ses mets que par ses mots. Le chef “s’amuse sur ces intitulés”, comme le souligne Camille Labro, journaliste culinaire pour Le Monde. Au-delà d’une forme de musicalité, il y inclut des références aux personnages historiques. Un plat sur quatre devient même une dédicace à une héroïne de l’époque. Les crêpes Suzette, en hommage à l’actrice française Suzette Reichenberg, la poire Belle Hélène ou le suprême de Poulet George Sand n’en représentent qu’une petite partie.

Une superstar planétaire

Après avoir sillonné l’Europe et ses établissements les plus prestigieux, Auguste Escoffier part à la conquête de l’Amérique. Déjà très reconnu sur le vieux continent, il débarque à New-York au début du XXème siècle. Grace à son aura, sa réputation et son savoir-faire, il parvient à placer dans le pays plus de 2000 cuisiniers formés par ses soins.  En 1911, il fonde le Carnet d’Épicure et la Ligue des Gourmands, avec pour but la valorisation de la gastronomie française à travers le globe. Porté par l’image de marque de son pays d’origine, il souhaite faire de ce projet l’apothéose de son œuvre. Conscient du développement exponentiel à venir des moyens de communication, il crée le dîner d’Épicure. L’idée est simple mais révolutionnaire. Créer un menu de haute gastronomie française, servi au même moment dans plusieurs restaurants répartis partout dans le monde, à l’issue desquels les convives pourront transmettre leurs impressions par le télégraphe. Avant d’être interrompus par la Grande Guerre, ces dîners se succèdent tous les deux mois pendant 3 ans, réunissant parfois plus de 4000 personnes dans 37 restaurants. 

Contributeur incontesté du rayonnement de la gastronomie française à l’international, Auguste Escoffier fait partie des plus grands chefs de l’histoire de France. 19 ans après la mort de l’icône, le chef Jean Ducroux fonde en 1954 l’association des Disciples d’Escoffier. Réunissant des membres renommés comme Nicolas Sale ou Régis Marcon, les disciples alimentent la mémoire du “Maître”.

Arthur Jégou

Source principale : Arte, Auguste Escoffier