Lundi dernier, l’avocat maltais Robert Abela devenait officiellement le nouveau Premier ministre de l’ile. Il vient remplacer Joseph Muscat, tout comme lui membre du parti travailliste, poussé vers la sortie à la suite du scandale lié au meurtre d’une journaliste d’investigation. Un nouveau chef d’orchestre, pour une mélodie que les Maltais connaissent bien.
Les citoyens, la presse et les badauds se massent devant les barrières érigées en face de la chambre des représentants. Chacun veut apercevoir celui qui dirigera le pays jusqu’aux prochaines élections. A quelques pas de là, en face du Palais de Justice de La Valette, on trouve la raison de ce changement. Des fleurs, des bougies mais surtout des cadenas et des antivols autour de la photo d’une femme. Pas celle d’une sainte, dont les ruelles de Maltes regorgent, mais celle de Daphné Caruana Galizia, assassinée quelques mois auparavant.
Chaque jour, les soutiens à la journaliste viennent déposer leurs offrandes sur le parvis du monument aux morts de la seconde Guerre Mondiale. Chaque soir, la police maltaise vient retirer tout ce qui n’est pas solidement attaché. Ce jeu du chat et de la souris représente parfaitement la division que cette affaire a créé au sein de la société maltaise.
Daphné Caruana Galizia a été assassinée le 16 octobre 2017 alors qu’elle venait de prendre sa voiture. La bombe dissimulée sous son véhicule ne lui a pas permis d’arriver à son travail, celui-là même qui lui a coûté la vie. Depuis, les médias internationaux se sont emparés de l’affaire et, avec elle c’est toute l’Europe qui semble s’inquiéter de la liberté de la presse dans ses frontières.
Une vie de lutte pour la vérité
Et pour cause, la reporter d’investigation maltaise était une figure bien connue de la péninsule. Peut-être la plus connue, sûrement la plus détestée, dans cette petite île de 400 000 habitants où il ne fait pas bon se confronter aux sphères du pouvoir. C’est en tout cas ce que semble prouver cette affaire. Daphné Caruana Galizia s’acharnait depuis trois décennies à dénoncer les scandales de corruption qui gangrènent, selon elle, cette île méditerranéenne. Quasiment autant de temps à être menacée sur les réseaux sociaux et dans la vie, à être discréditée et rabaissée par des groupes pro-gouvernementaux pour un oui ou pour un non. Ceux-là même qu’on accuse aujourd’hui de l’avoir assassinée.
La journaliste avait en effet révélé, peu avant sa mort, les comptes offshores de membres du gouvernement dans le cadre de l’affaire des Panama Papers. Un pavé apparemment trop gros pour la petite mare maltaise. Et pour cause, Daphné Caruana Galizia était un des plus gros poissons de l’île: son blog était suivi par davantage de lecteurs que Malte ne compte d’âmes. Un impact qui dérangeait depuis trop longtemps les élites de ce bout de terre aux eaux turquoise.
Une enquête au point mort
Au sein d’une union européenne qui tient à sa liberté de la presse, la mort de la journaliste est loin d’être passée inaperçue. Au point que le Conseil de l’Europe finisse par désigner un rapporteur assigné à résoudre ce meurtre. Une première dans un pays de l’Union.
Bien que 3 suspects ont été arrêtés il y a quelques mois, leur absence totale de mobile laisse envisager une tentative de diversion de la part du pouvoir. Une diversion loin d’avoir convaincu les 27, au point que fin novembre, le premier ministre Maltais et son chef de Cabinet ont fini par démissionner. Mais l’île des chevaliers ne s’attend pas à un changement profond pour autant. Le parti travailliste au pouvoir s’est contenté de changer de visage, pour mieux garder son trône. Ainsi la semaine dernière le nouveau premier ministre Robert Abela affirmait sa volonté de « poursuivre dans la continuité du gouvernement sortant tout en reconnaissant certaines erreurs ». Quoi qu’il en soit pour Corine Vidal, sœur de la victime, « les commanditaires finiront par payer ».
Une population partagée
Dans les rues de La Valette, la population est loin d’être unie derrière l’avis de Corine Vidal. Bien sûr des sympathisants continuent de soutenir la regrettée journaliste et réclament la vérité sur cette affaire ainsi que la fin du système de corruption. Mais une autre partie de la population, très large, continue de soutenir le gouvernement, et de considérer Daphné Caruana Galizia comme une fauteuse de trouble. C’est le cas de Ronald, sexagénaire originaire de Birgu, magnifique cité juchée en face de la capitale. « À Malte, on peut dire ce qu’on veut, mais on doit en assumer les conséquences! » affirme-t-il. Comme d’autres citoyens, il dénonce aussi l’utilisation d’un mémorial de guerre comme symbole de lutte contre le gouvernement. Une énième provocation de la journaliste selon lui. Sa dernière très certainement. Pourtant, chaque jour, de nouvelles fleurs viennent recouvrir la photo de Daphné, en attendant d’être jetées par les autorités maltaises.
Jean-Baptiste Robert