Il ne compte plus les fois où il a déballé et remballé son étal. Voilà bientôt 30 ans que Richard a fait des marchés son lieu de travail. Marseille, Aix, Salon ou Aubagne, ce quinquagénaire sillonne sa région natale chaque semaine pour vendre ses produits. Sa spécialité : la charcuterie. Il est intarissable sur le sujet. « La qualité ! C’est ça le plus important. Et aujourd’hui, on la trouve que sur nos marchés » déplore-t-il.
Il est presque quatorze heures quand il décide de s’octroyer une pause. Son neveu s’occupe de remballer les dernières marchandises. D’un ton ferme, adouci par son accent chantant, Richard donne les directives du bord de sa camionnette où il est assis, une clope au bec.
Lorsqu’il doit parler de lui, le forain est moins prolixe. Né dans le 12ème arrondissement de Marseille, il est le quatrième d’une famille nombreuse. Fils d’un peintre en bâtiment et d’une mère au foyer, il a dû apprendre à se « débrouiller » tôt. Timidement, il se rappelle ses débuts. « J’avais de la famille qui travaillait sur les marchés à Marseille. Très jeune, je les aidais. Je chargeais et déchargeais le matos. Je me faisais quelques francs. » Il quitte l’école à 14 ans. « Sans regret » dit-il. La vie de forain pour lui: « ce n’était pas une vocation ». Mais il y a trouvé son compte. Il suffit de le voir harponner le badaud pour s’en assurer. Il a le don de transformer le client en copain. Et l’amitié pour Richard, c’est sacré. Il l’évoque sans cesse. « A force de voir les gens depuis des années, on s’en fait des amis, des vrais. » L’émotion n’est pas loin. Le Marseillais coupe court et écrase son mégot. Il lui est difficile de finir une phrase sans se faire couper par un de ses collègues. Tous viennent saluer leur ami de longue date, et débriefer brièvement la matinée. « Le chiffre » comme ils disent. Le charcutier aime le rappeler, forain c’est un mode de vie mais c’est avant tout « un gagne pain ».
« C’est quand même crevant »
Il avoue dégager moins de bénéfices qu’il y a quelques années. « Avant, tout le monde allait au marché, maintenant, les gens font les courses sur Internet. Moi je trouve ça triste. C’est aussi un lieu de rencontres. » Lui a fait la rencontre de sa vie sur les marchés. Sa femme, Nathalie. Elle y était pour une saison, lui venait de se lancer à son compte. Aujourd’hui aide soignante, elle s’est habituée à voir son mari partir au milieu de la nuit. « Mais elle ne pourrait pas avoir ce mode de vie. » Ses deux filles non plus. Il insiste pour qu’elles poursuivent leurs études « le plus longtemps possible ». Loin du cliché de la transmission de génération en génération donc. « Moi, j’échangerais pour rien mon métier. Mais pour mes filles, je veux quelque chose de moins fatiguant, parce que c’est quand même crevant » reconnait le père de famille.
Il est l’heure de remballer. Reprendre la route à la rencontre de ses fournisseurs et clients habituels. Un quotidien qu’il mène depuis trente ans maintenant, et dont il connaît les tares. Mais son métier est aussi devenu une façon de vivre, une façon de concevoir les choses, la vie et les gens. Et ça, Richard n’est pas prêt de s’en lasser.
Inès Ajbali