« Voilà mon atelier, là personne n’entre que moi, mais puisque vous êtes un ami, nous irons ensemble. » P.Cézanne
C’est sur ces mots, gravés sur le portail de l’atelier que la visite débute. On pousse d’abord la porte de fer et on découvre un monde hors du temps, où se mêle nature, lumière, verrière et, sans nul doute, génie. Derrière la petite cour entourée de fougères se dresse une maison de pierre qui semble avoir été là depuis toujours, presque secrète elle mêle à la fois imaginaire et réalité. C’est ici, sur la colline des Lauves que l’artiste a peint ses dernières œuvres de 1902 à 1906.
L’emplacement initial abrite un corps de ferme qu’il rachète en 1901 après le décès de sa mère et la vente de la propriété familiale du Jas de Bouffan. Il le fera détruire pour reconstruire un atelier de 49 m2 dont il dessine lui-même les plans. Le choix n’est pas dû au hasard : sur les hauteurs nord de la ville, l’emplacement est idéal. A quelques centaines de mètres à peine de ce que l’on nommera plus tard « le terrain des peintres », il offre le plus beau panorama de la montagne Sainte-Victoire qu’il affectionne tant. Mais l’atelier, à mi-chemin entre ville et montagne, est aussi le berceau de ses illustres natures mortes. Il y peindra plus d’une dizaine d’œuvres telles que L’amour en plâtre ou Les grandes baigneuses qui ornent désormais les murs des plus grands musées du monde et de quelques particuliers chanceux.
Pousser la porte de l’atelier c’est entrer dans l’intimité de l’artiste. Le matériel de travail y est resté présent ainsi que les effets personnels du maître : sa blouse, sa redingote et son manteau sont accrochés au porte-manteau tels qu’il les a laissés. Les crânes récupérés grâce à un ami employé du Muséum d’histoire naturelle de Marseille, utilisés pour sa célèbre Nature morte sur crâne sont posés sur le chevet.
Si vous vous attendez à trouver des toiles de Cézanne en ces lieux, passez votre chemin !
« L’atelier n’est pas un musée classique mais rien d’autre que l’empreinte de Cézanne lui-même » précise Roberte Clerico, gardienne du temple depuis près de dix ans. Ouvert toute l’année, il reçoit jusqu’à 70 000 personnes par an et près de 500 visiteurs par jour en été. Selon Samir Overfelli, agent d’accueil, « C’est la grande exposition aixoise du centenaire tenue en 2006 qui a contribué à populariser l’artiste ». Et depuis, ça ne désemplit pas. Il n’est d’ailleurs pas rare d’assister à des « malaises d’admirateurs » submergés par la véracité du lieu, confie Samir Overfelli.
Pas sûr que Cézanne aurait approuvé ces va-et-vient, lui qui ne laissait entrer personne dans son atelier… Pourtant, la ville a bien failli passer à côté de cette « pépite » qui fut conservée grâce à la création du « Cézanne Mémorial Comittee » en 1951 à l’initiative de deux étudiants américains admiratifs. Ils parviennent à mettre fin aux menaces de destruction qui pèsent sur l’atelier en récoltant les fonds nécessaires à son rachat et en firent par la suite, don à l’Université d’Aix-Marseille. Le 8 juillet 1954, l’inauguration de l’atelier marque la première reconnaissance publique du maître. En 1969, l’atelier devient Musée municipal et il s’inscrit à l’inventaire des monuments historiques en 1974. Une clairvoyance américaine récompensée…
Marine Mardellat