L’une des salles de réception du RItz ©Magistère DJC

Avant d’être “starifiés” et propulsés sur les petits écrans, les chefs de cuisine quittaient rarement leurs fourneaux. Reculés dans des cuisines délabrées, leur statut était souvent peu considéré. À l’origine de ce changement de conditions sociales, un emblème de la deuxième moitié du XIXème siècle : Auguste Escoffier. Précurseur de nouvelles conditions de travail, inventeur de plats emblématiques et de techniques culinaires encore omniprésentes aujourd’hui, le jeune chef provincial est parvenu à réaliser son rêve : élever la cuisine au rang d’art. Portrait en deux volets d’un chef artiste visionnaire. (1/2)

Celui qui rêvait de devenir sculpteur débute la cuisine à l’âge de 13 ans. D’abord commis dans le restaurant niçois de son oncle, il grimpe rapidement les échelons, jusqu’à diriger les cuisines de cet établissement au bout de quelques années seulement. Travailleur acharné, tant sur ses techniques de cuisson que sur sa culture culinaire, il s’inspire des discours d’Antonin Carême, alors cuisinier de Talleyrand, qui revendique le statut d’artiste. En 1865, il débarque à Paris. Du haut de ses 19 ans, il intègre les cuisines du Petit Moulin Rouge, un établissement prestigieux situé dans le quartier des Champs-Élysées. En cuisine, il se confronte à de terribles conditions de travail. Pour Pascal Ory, historien, “ces conditions très dures sont liées à un équipement violent où le charbon de bois joue encore un grand rôle”. Face à cela, l’ambiance n’est pas au beau fixe. Pour tenir, les cuisiniers s’alcoolisent. Escoffier, quant à lui, ne boit pas et ne fume pas pour préserver son palais. Cette attitude et son érudition lui permettent de grimper dans la hiérarchie. En 1870, sa réquisition dans les cuisines du quartier général du Rhin à Metz, suite à l’invasion de la France par la Prusse, interrompt son expérience parisienne. Après trois années d’absence, il repose ses valises dans l’établissement, en tant que chef cette fois-ci. Déterminé à moderniser son métier, il révolutionne les cuisines de l’établissement.

Un chef précurseur

Pour faire valoir son statut, Escoffier comprend vite qu’il doit susciter le respect. Il se revêt donc de la plus grande toque. Soucieux du bien être de chacun, de la bonne ambiance et de la propreté, il interdit l’alcool, le tabac et impose l’uniforme dans les cuisines. Des règles évidentes aujourd’hui, mais innovantes à cette époque. Loin du chef brailleur et rustre d’antan, Auguste Escoffier met sa capacité d’écoute au service du collectif. Proche de ses équipes, il accompagne et conseille ses collaborateurs pour en tirer le meilleur.

Si dans un premier temps, ces changements ne s’étendent pas au-delà des murs du restaurant, sa rencontre avec César Ritz accélère leur prolifération. Très vite, les deux hommes nouent une relation solide de confiance et de respect mutuel. Alors propriétaire de deux palaces à Lucerne et Monte-Carlo, l’entrepreneur suisse prend vite conscience de l’importance du restaurant dans ce genre d’établissement. Ambitieux et complices, ils décident de construire tout un univers de restaurant centré autour des femmes, dont l’importance s’élargit au sein de l’aristocratie. De l’éclairage pensé pour illuminer leur chevelure, à la vaisselle de table en porcelaine, en passant par un service théâtral, l’entourage de l’assiette prend la forme d’un univers élevant la cuisine au rang d’art.

Très vite, cette nouvelle forme de restauration conquiert la clientèle et s’exporte à Londres. En 1890, Ritz et Escoffier se chargent de l’organisation de l’hôtel Savoy. Le cuisinier se retrouve confronté à une frénésie inégalée jusqu’alors : plus de 1000 convives s’affairent chaque jour à sa table. Pour faire face au flux, tout en conservant la qualité des assiettes, le chef invente le concept de brigade. Désormais, chaque cuisinier se voit attribuer une tâche fixe. Le chef saucier, le chef de partie poissonnerie ou encore pâtisserie possède sous ses ordres plusieurs commis. Escoffier s’illustre quant à lui en chef d’orchestre. Son rôle consiste principalement en la vérification des assiettes avant leur envoi en salle, comme le font beaucoup de chefs actuels.

Mais au-delà de ces éléments extérieurs,  la révolution Escoffier se passe avant tout dans l’assiette … à découvrir dans le deuxième volet du portrait du chef.

Arthur Jégou

Source : Arte, Auguste Escoffier