Entre l’amour et la haine, il n’y a qu’un pas. La relation entre le public et les médias en témoigne. Autopsie de ces journalistes qui ne font plus bonne presse.
Est-ce que je crois en mon métier ? Oui et non. Est-ce la faute des médias ? Oui et non. Est-ce que j’ai de l’espoir pour l’avenir ? Oui et non.
Dans une société où l’opinion tranchée est une coutume, écrire un article sur son (futur) métier est une tâche délicate. Voire une forme d’autopunition de vouloir se plonger dans un thème aussi bouillonnant que la défiance des Français vis-à-vis des journalistes.
Et pourtant, dépourvu de toute culpabilité, je me lance dans le grand bain. Une bouteille à la mer qui se remplit de chiffres vertigineux et de témoignages sans filtre.
Premier constat : le journalisme est à ce jour l’une des professions les plus détestées par les Français. Les chiffres sont formels et ne mentent jamais. Selon l’étude du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), qui a réalisé un sondage en février 2021 sur le niveau de confiance des différentes institutions, seulement 28% des Français font confiance aux médias. Le bonnet d’âne de ce classement étant remis sans surprise aux partis politiques (13%), l’avant-dernière place des médias est inquiétante.
Autre indicateur intéressant, le baromètre de La Croix publié en janvier 2022. Cette étude met en évidence la baisse de l’intérêt pour l’actualité. Seulement 44 % des personnes interrogées estiment “que les médias fournissent des informations fiables et vérifiées” et 62 % des sondés considèrent que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique. En 2022, six sondés sur dix (62 %) portent encore un intérêt à l’actualité, c’est cinq points de moins que l’an passé (67 %). Un indice en chute libre depuis 2015 (76 %). Une préoccupation pour l’information encore plus faible chez les 18-24 ans. Seulement 38 % des jeunes s’intéressent aux événements qui font l’actualité. Des chiffres assourdissants, mais qui ne sont pas sans explication.
Le plafond de verre de la méfiance
Qui détient les médias ? Les milliardaires. Quelle est la classe sociale la plus détestée par les Français ? La bourgeoisie. Cristallisée par le mouvement des gilets jaunes, la haine du capitalisme est une vraie tendance sociologique dans l’Hexagone. Il paraît donc cohérent que les Français ressentent une rancœur contre les médias. Petit panorama du paysage audiovisuel français : Bouygues, Niel, Dassault, Arnault, Bolloré, Bergé, Drahi, Pinault, Pigasse, Lagardère… Que des grosses fortunes. Pour Christine Lorel, ancienne journaliste chez Radio France, il est évident que le monopole des ultra-riches sur la presse française pose problème. “Il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, ce sont les milliardaires qui nous informent. Et ça, les Français l’ont bien compris. En soi, ce n’est pas un problème que ces personnes investissent dans la presse. Le problème c’est la perception qu’ont les Français de ce groupe d’individus. Pour eux, c’est de la manipulation de l’information. Ils ne supportent pas que leur conscience soit gérée par ces hommes richissimes. “
Journaliste à la Provence depuis 3 ans, Clément Labat-Gest a pris conscience de cette méfiance envers les journalistes et ceux qui tirent les ficelles. “Entre les gens qui pensent qu’on marche pour untel ou qu’on travaille par intérêt, notre profession est de moins en moins crédible. Après je n’ai pas choisi cette voie pour redonner de la crédibilité à ce métier ou devenir le grand justicier du XXIe siècle”.
Illustration parfaite de cette défiance : la chaîne de télévision BFMTV. “Pour 90 % des Français, le journalisme c’est BFMTV”, se désole Enzo Fiorito, étudiant en journalisme. “ Ils ne voient notre profession qu’à travers le prisme de cette chaîne. Et le pire dans cette histoire, c’est que les gens aiment la regarder. C’est un curieux paradoxe “. Une anomalie ? Pas exactement. Finalement, BFMTV est comparable à une drogue dure : pas bon pour notre santé, mais une fois qu’on y goûte, on n’arrive plus à stopper l’hémorragie et on devient accroc. Un cercle vicieux qui nuit à la profession. Et la plus mauvaise nouvelle dans tout ça : BFMTV a un frère, CNEWS…
Tout travail mérite salaire
Des milliardaires à la tête de nos consciences, une chaîne qui entache la profession. L’addition commence à être lourde. Et pourtant, un autre point est régulièrement sous le feu des critiques (et à juste titre) ces derniers temps : la faiblesse de la véracité de l’information et le torrent de fake news qui inonde la toile. Un sujet fâcheux qui remet en cause la rigueur des journalistes. Mais le problème n’est-il pas plus profond ? La question d’un juste salaire qui récompenserait un travail à sa juste valeur ne serait-il pas la clé d’un retour de l’information de qualité ?
Une étude réalisée en 2019 par la Société civile des auteurs multimédias (SCAM) montre une profession toujours plus précaire. 11% des répondants ont déclaré toucher moins que le SMIC annuel, et 28% moins de 20.000 euros par an. « Les pigistes, les freelances, sont confrontés à des niveaux de rémunération assez faibles”, explique Jean-Marie Charon, sociologue des médias, dans une vidéo sur France Télévision. “Les statistiques qu’on a sous la main nous montrent que presque 60% de ces pigistes sont à peine au SMIC. 20% sont au-dessous de 1 000 euros bruts par mois. On est aussi face à une profession à laquelle il est difficile d’accéder et les niveaux de rémunération sont extrêmement modestes. « . Alors pourquoi choisir le journalisme ? « Le sentiment qu’on a un rôle à jouer dans la société », conclut le sociologue.
Des journalistes qui ont de plus en plus de mal à finir les fins de mois… Mais la concurrence n’a pourtant jamais été aussi forte pour décrocher sa carte de presse. L’un des paradoxes de cette décennie : bien que frappé de plein fouet par la crise, l’univers des médias est toujours désirable. Obtenir une carte de presse aujourd’hui pour un jeune journaliste est comparable à la série Netflix, Squid Game. Un nombre important de compétiteurs, mais très peu de survivants. En France, pour devenir journaliste, les étudiants doivent se former en passant par des écoles, des IUT ou des universités. Mais le nombre de diplômés est trop important en comparaison aux emplois disponibles.
“Aujourd’hui il existe 14 cursus reconnus par la profession pour apprendre le métier de journaliste”, analyse Christine Lorel. “Chaque année il y a donc une centaine de diplômés pour la filière radio par exemple. Or Radio France, qui est certainement le plus gros employeur radio, recrute en général une quinzaine de journalistes par an. Vous voyez la disproportion.”
Un décalage entre le nombre de candidats et le peu d’élus. Une disparité entre salaire et travail. Une divergence entre journalisme et chaîne méprisante. Une rupture entre milliardaires et réalité.
Un trou noir pour le journalisme dans lequel la lumière peine à s’entrevoir. Et ça depuis une éternité. Il suffit de relire La Monographie de la presse parisienne de Balzac pour s’en convaincre. On ne peut pas faire pire ! Alors peut-on vraiment trouver des solutions en 2022 ? Répondre oui serait de l’utopie. Aujourd’hui l’influence des médias sur la société est pourtant immense. Peut-être plus que certaines institutions. Et si un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, alors il paraît urgent de rétablir ce que l’on nomme le quatrième pouvoir.
Lucas Emanuel