Le 16 octobre 2022, le président chinois Xi Jinping a une nouvelle fois affirmé qu’il souhaitait réunifier la Chine et Taïwan, faisant craindre une attaque par la force. Si l’île constitue un territoire distinct qui fonctionne avec son propre gouvernement, elle n’est pas officiellement reconnue indépendante dans le monde. Alors que les tensions s’accentuent entre la Chine, Taïwan et les États-Unis, qui assurent défendre l’île volcanique en cas de conflit, la guerre en Ukraine bat son plein. Dans ce contexte, Timothé, professeur français de 34 ans vivant à Taïwan, a accepté de répondre à nos questions.
Depuis quand habitez-vous à Taïwan ?
« J’habite à Taiwan depuis six ans maintenant. Au départ, c’était pour vivre dans un environnement sinophone. Aujourd’hui c’est tout simplement parce que je m’y plais. J’ai construit ma vie là-bas. »
Avez-vous le sentiment que Taïwan est sous l’influence de la Chine ou vous sentez-vous totalement indépendant ?
« Politiquement, je trouve qu’on ne ressent aucune influence directe même s’il existe un parti pro rapprochement, le KMT. Culturellement, c’est différent puisqu’une grande partie de la population est d’origine chinoise et a fui lors de la guerre civile. Pour ce qui est de la vie quotidienne et de la mentalité, Taïwan possède une identité bien à part et assez différente de la Chine continentale. C’est un mélange culturel entre l’Occident, le Japon et la Chine. Chose évidente lorsqu’on sait que Taiwan a été occupée tour à tour par les Hollandais, les Japonais, puis les Chinois. La population est divisée. Une partie des citoyens soutient un rapprochement, tandis que l’autre milite en faveur de l’indépendance. Cette division reflète d’ailleurs les différents niveaux sociaux sur l’île. Les riches hommes d’affaires désirent un rapprochement pour des raisons purement économiques. À l’inverse, la partie de la population la moins aisée, qui occupe les postes les plus simples, a peur que les travailleurs chinois reprennent ces postes en cas de rapprochement. »
Que pensez-vous de l’indépendance non-officielle de Taïwan ?
« Cette indépendance non-officielle est bien réelle dans les faits. Taïwan n’est pas mentionnée mais c’est Taipei qui représente l’île à l’étranger. La capitale dispose par exemple de bureaux de représentation pour remplacer les ambassades. Selon moi, l’île doit rester indépendante, elle reflète un autre courant, un autre modèle. Taïwan fait autant peur qu’elle fascine le parti communiste et les Chinois. Elle représente une orientation que pourrait prendre la Chine demain, même si cela est difficile à imaginer. Par ailleurs, le fait que la reconnaissance ne soit pas officielle empêche Taïwan de faire partie des organisations mondiales. Pourtant, je trouve que c’est un exemple : il est possible pour un pays de se construire et de conclure des accords internationaux sans le biais de celles-ci. »
Que pensez-vous de la menace de la Chine d’utiliser la force pour récupérer l’île ?
« Les menaces physiques de la Chine sur Taïwan sont réelles. Elles ont toujours existé. C’est une habitude pour les habitants de l’île qui en parlent régulièrement. On sait que ça peut arriver à tout moment, tel un tremblement de terre. La Chine a essayé par le passé mais a toujours échoué. Elle ne peut pas se permettre de rater son offensive à nouveau. Il s’agit d’un défi logistique de taille puisque c’est une île, d’autant que le but serait l’annexion et non la destruction. À côté de cela, Taïwan est un grand producteur mondial de composantes électroniques. L’attaquer ferait planer le risque de l’arrêt d’un pan entier de l’économie chinoise. Enfin, de nombreux pays voisins se sentent menacés par les idées expansionnistes de la Chine et se disent prêts à soutenir Taipei en cas de besoin. »
Pensez-vous que la Guerre en Ukraine donne des idées au gouvernement chinois ?
« Oui c’est sûr que Poutine peut donner des idées à Xi Jinping. Mais Pékin est plus réfléchi et patient que son voisin Russe. Même si le gouvernement chinois en a envie, il attendra le moment opportun pour agir. La Chine souhaite depuis toujours une intégration pacifique et non une attaque militaire contre ceux qu’elle estime des siens. En Russie la situation est bien différente. »
Emma Frary