Rencontre avec le fondateur de ATEM, société de maintenance industrielle marseillaise.
Au deuxième trimestre 2022, plus de 10 000 entreprises sont en défaillance, selon l’étude du cabinet Altares. Cette situation n’est pas nouvelle. En 1973, après le premier choc pétrolier, l’entreprise basée à Marseille, “Noël et Pellegrini” dépose le bilan : 200 employés se retrouvent au chômage. L’ancien chef d’atelier Jean-Pierre Modica ne l’entend pas ainsi. Avec audace et détermination, il s’allie avec six autres salariés pour fonder une entreprise d’un autre genre. Une SCOP (Société Coopérative de Production). La société de maintenance marseillaise ATEM voit le jour en novembre 1977. C’est avec beaucoup d’émotion que le créateur, aujourd’hui âgé de 81 ans, nous dévoile les secrets pour une réussite coopérative.
Considérez-vous ce projet comme une réussite ?
Depuis sa création, nous avons réalisé 45 exercices et, surtout, 45 exercices positifs. Nous n’avons jamais eu d’exercice négatif. Je pense que cela est dû à la stratégie qui a été mise en place. C’est simple, je ne voyais qu’une seule chose : rester sur les niches. Lorsque je dis niche, je parle de faible concurrence. Ça n’en reste pas une, quand tout le monde le fait. Ce n’est pas quelque chose de vraiment compliqué, il faut se lever le matin et réfléchir. Qu’est-ce que je pourrais faire que les autres ne font pas ? C’est la meilleure tactique possible. En effet, lorsqu’on pratique ce que tout le monde exerce déjà, on peut vivre correctement mais jamais plus.
Quelles sont les valeurs de la société ?
C’est un projet collectif à la base, on était que sept donc automatiquement c’était un noyau. Au niveau coopératif c’est toujours un projet collectif. On ne peut pas créer une SCOP seul. Selon moi, il y a trois points majeurs pour la réalisation d’un tel projet : le partage de l’avoir, le partage du savoir et le partage du pouvoir.
En ce qui concerne le partage de l’avoir, c’est le fait que tous les salariés ont vocation à être sociétaires. Dans notre entreprise, tous les salariés sont sociétaires à partir de trois ans d’ancienneté. Cela permet de bien connaître la personne. Mais cela permet aussi à la personne de bien connaître l’entreprise. Lorsque nous sommes sociétaires, nous sommes aussi solidaires à l’esprit de l’entreprise. Il y a environ, sans faire de calcul, 62% du résultat qui est distribué au salarié et il y a des dividendes. Après, ça varie en fonction de la situation économique. Le reste, ce sont des réserves impartageables afin d’assurer les besoins de la société.
Enfin, il y a le partage du savoir-être. Il faut être solidaire sur la participation. Évidemment nous sommes 70 dans l’entreprise, il n’y a pas 70 clones. Il y a forcément des personnes qui sont plus investies que d’autres. C’est inévitable.
Faites-vous plus attention au choix de vos salariés que dans une entreprise classique ?
Alors là, absolument. Lorsque les gens n’ont pas une attitude de considération par rapport à l’établissement, je le vis très mal ! Je suis très attaché à la société sinon je n’aurais pas fait une SCOP. Il y a un état d’esprit à avoir, c’est pour cela qu’on met en place des formations et des réunions. Le coopératif, c’est exigeant mais vertueux.
Quelle formation mettez-vous en place ?
Toujours dans le partage, ici c’est celui du savoir. On se doit de communiquer l’information. Ce que nous faisons, c’est de la formation coopérative gestionnaire. Et ça c’est l’Union Régionale des SCOP qui a des modules de formation,
Ces formations sont vraiment une force. Je ne pense pas que toutes les entreprises le fassent, qu’il y a des formations pour lire des bilans comptables. Par exemple, dans l’entreprise où j’étais avant, je ne savais même pas que cela se faisait. C’est vraiment ce que j’appelle le “plus” coopératif, c’est une valeur ajoutée.
Qu’appelez-vous le partage du pouvoir ?
C’est “un homme, une voix”, dans la SCOP. Il y a une assemblée générale annuelle qui est souveraine. Tous les salariés y participent. Nous invitons tout le monde car il y a aussi une partie de pédagogie pour ceux qui ne le sont pas encore. Le dirigeant est élu par ses pairs. Il peut être remis en cause s’il y a un problème. Les administrateurs sont élus par l’assemblée générale et c’est le Conseil d’administration qui fait l’élection de son président. Le principe de la SCOP c’est que personne ne s’approprie l’entreprise. En effet, lorsque je vais partir je ne vais rien emporter avec moi. Il n’y a pas de patrimoine. Le patrimoine, c’est la coopérative.
Quel est votre dernier développement ?
Le dernier développement que nous avons fait, pour la marine de plaisance, c’est le reconditionnement des hélices. Et ça, c’est aussi dû au hasard. On avait entendu parler d’une entreprise qui déposait le bilan du côté de la Seynes-sur-mer et on s’était rapprochés en se disant pourquoi pas. Pour pouvoir prétendre fournir un travail de qualité, il faut acquérir beaucoup de compétences humaines. C’est donc ce que l’on a fait. On a recruté les personnes de ces sociétés qui avaient été mises en demeure afin de créer une nouvelle niche de notre côté.
India Reix et Emmanuelle Audibert