Lors d‘une récente interview pour Libération, Cédric Villani, mathématicien médaillé Fields et homme politique, alertait sur la baisse de représentation féminine dans les filières scientifiques. Après une multitude de réformes de l’enseignement, la question de la place des femmes dans le secteur continue d’être posée.
« J’ai toujours fréquenté des classes majoritairement masculines », déclare Aude, contrôleuse aérienne. Seuls 10% des femmes s’orientaient vers les filières scientifiques en 1995. En 2018, ce chiffre est monté à 46%. Une progression réjouissante, mais derrière laquelle se cachent encore des inégalités.
L’orientation en fait partie. « Selon plusieurs enquêtes, avec des résultats équivalents en mathématiques, 82 % des garçons et seulement 53 % des filles s’estiment capables de suivre des études scientifiques. Un manque de confiance qui se retrouve dans leur choix d’orientation » analyse Claudine Hermann, présidente honoraire de l’association Femmes et Sciences. Une autocensure qui se retrouve dans l’ensemble des domaines scientifiques, mais qui est d’autant plus présente dans les mathématiques. Le secteur de la santé attire effectivement davantage de femmes.
Un sexisme révélateur d’une approche culturelle spécifique
À cela vient s’ajouter le sexisme. « J’ai entendu des blagues sexistes à la pelle, des remarques sexuelles ou sur le physique. J’ai subi pas mal de paternalisme aussi », déplore Aude. Et elle n’est pas la seule. « C’est rare que les femmes discutent entre elles de ce qu’elles subissent, mais ça finit par sortir, notamment quand l’homme concerné est parti en retraite par exemple ». Il est effectivement parfois difficile de souligner ce type de comportement. Pourtant, il est fréquent que le sexisme entrave l’activité des femmes, parfois jusqu’à les empêcher de mener à bien leur carrière. Lucie*, chercheuse en mathématiques à l’université, explique l’impact de la déconsidération des femmes dans les laboratoires de recherches. « Régulièrement, mes consœurs se plaignent de ne pas être intégrées aux organes de décision ou d’être tenues à l’écart des flux d’information internes qui leur permettraient d’être associées à des groupes de travail. Cette situation n’aide en rien leurs possibilités d’évolution de carrière ».
Des propos corroborés par Véronique Chauveau. La directrice de l’association Femmes et Mathématiques attribue effectivement le grand écart de représentativité entre hommes et femmes dans les mathématiques à une approche culturelle spécifique. « C’est l’importance donnée aux mathématiques dans un pays qui détermine son taux de féminisation : plus la place donnée à cette discipline est importante, et plus celle-ci est masculinisée ».
Des progrès sont malgré tout à noter. « Je subissais beaucoup plus de sexisme il y a 20 ou 25 ans que récemment » note tout de même Aude, pleine d’espérance. L’émergence des hashtags tels que #metoo et #balancetonporc n’y est certainement pas étrangère.
Jeanne Dumas
* pour des raisons de confidentialité liées à la procédure en cours, le prénom a été changé.