Frédéric Laurie est maître de conférence, co-dirigeant du master Droit du numérique à la faculté d’Aix-en-Provence et avocat spécialiste en droit public. Il est engagé dans la protestation contre la loi de programmation de la recherche sur Twitter. Selon lui, l’adoption de cette loi annonce « un vrai carnage ».
Que représente la tendance des carrés noirs qui a émergé sur Twitter ?
Depuis quelques années les conditions dans lesquelles on nous place risquent de dévoyer l’Université. Derrière cette forme de protestation il y a aussi le fait que depuis un an nous sommes des écrans. C’est un symbole qui s’est quand même caractérisé par un vrai jour de grève. Plus de lieu, plus d’écran.
Autre difficulté : la LPPR censure-t-elle les chercheurs ?
On pense effectivement qu’elle a tout ce qu’il faut pour nous censurer. Choisir ses thèmes de recherche c’est permettre l’universalité des travaux. Il s’agirait de ne plus choisir et de ne répondre qu’à ceux visés par des appels d’offres. En privilégiant cette logique, on est sur un temps court alors que la recherche des sciences expérimentales s’inscrit dans un temps long. De plus, en retenant une logique qui consiste à financer sur résultats, on va assécher les laboratoires pour les recherches libres. Elles seront donc limitées. Le délit d’intrusion, la limite du champ des recherches et la fin de la liberté du recrutement de l’enseignement sont de graves atteintes aux libertés académiques. On casse un statut national en supprimant les concours nationaux alors que l’Université est un service public national, c’est d’ailleurs ce qui garantit le niveau de toutes les facultés. À partir du moment où le recrutement va se faire uniquement au niveau local, on est de moins en moins des agents de l’État. On a également peur pour la qualité de nos cours de spécialité puisque nous ne pourrons plus nous tenir à jour dans ces domaines.
En tant que spécialiste du droit public, quel est votre avis d’expert sur l’adoption de la LPPR ?
Je regrette que le Conseil Constitutionnel ne soit pas allé plus loin dans la censure. Les conditions de l’adoption du projet de loi ont été déposées en février 2020 puis le texte est passé en procédure accélérée. Entre-temps les concertations obligatoires ont été menées avec les syndicats concernés. Avant le dépôt du projet de loi, ces concertations ne sont pas parvenues à leur terme. Certes, il a été adopté par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais si on regarde les procès-verbaux, on se rend compte que les textes ont été adoptés uniquement, ou presque, avec les représentants de l’État. Les universités sont pratiquement fermées, le texte est adopté fin juillet. Il passe au Sénat et en dernière séance, au moment de l’adoption, des amendements parlementaires (CNU et délit d’intrusion, lire en p..)) sont adoptés avec des majorités introuvables. Ces amendements n’ont été discutés par personne. Pourtant, la suppression des compétences du CNU revient à vider cette institution de tout son sens. Elle date tout de même de la Résistance et elle est supprimée en un soir à l’Assemblée Nationale ! Pour nous c’est une garantie de l’exercice de notre profession qui disparaît.
Tous les points de cette loi sont-ils mauvais selon vous ?
Il n’y a rien de bon. Déjà, au niveau des budgets où les milliards d’euros en jeu sont renvoyés à la prochaine législature avec un investissement très mesuré au départ. Nous n’aurons même pas un dixième de la somme totale sur 2021. Vidal a fait voter un texte mais elle ne s’engage pas. Si l’année prochaine il y a un nouveau gouvernement, rien ne nous garantit qu’il aura intérêt à tenir les promesses actuelles. Heureusement, le délit d’intrusion a été revu par le Conseil Constitutionnel. En revanche, les décisions sur nos statuts : les « chaires juniors », la suppression du CNU, les contrats de chantier pour les jeunes chercheurs précaires, rien ne va. Imaginez-vous continuer vos études jusqu’à arriver à un niveau de docteur avec une sélection impitoyable et finir avec un emploi pour 2 ou 3 ans rémunéré entre 1500 et 1800 euros. Au bout de 3 ans, le fameux appel d’offre qui aura conditionné l’ouverture du poste sera terminé et on vous dira qu’on n’a pas l’argent pour vous garder. Ça va être un vrai carnage pour ces jeunes-là.
Crédit photo : PERHYN CAPEL
Carla Lubrano Di Scampamorte