Youssef, Bachir, Souleymane et Brahim font parti de la première vague de migrants débarqué sur les côtes grecques entre 2011 et 2012. Entre les camps et les galères, ils sont encore là ou ce devait n’être qu’une escale. Malgré eux, ils se logent, travaillent et commencent à collaborer avec certains grecs. Un embryon d’intégration dans le l’ouragan de la crise économique et migratoire grecque.
« Ici, c’est la merde ». Lapidaire, Youssef résume sa situation avec dépit. Arrivé à Athènes en 2012, ce Sénégalais de 32 ans ne rêve que d’une chose: partir pour la France ou l’Espagne, là où il a de la famille. Lui et ses trois amis viennent partager quelques bières et cigarettes à Nosotros, un centre autogéré situé dans le quartier d’Exarcheia. En cette fraiche soirée de fin d’hiver, les quatre Sénégalais font part de leur expérience avec les membres du centre. Tous sont arrivés en Grèce entre 2011 et 2012, avant le retour des murs en Europe, avant les autres migrants pas centaines de milliers, avant Tsipras, avant l’Etat Islamique, avant l’embourbement puis la catastrophe syrienne, avant Lampedusa. Avant.
Aujourd’hui, ils sont encore là, alors que la Grèce ne devait être qu’une étape dans leur voyage, une porte d’entrée vers la riche Europe. Une étape qui dure depuis plus de quatre ans, entre les camps, le racisme, la rue et l’impossibilité de partir. Ils ont récemment été contacté par Luka, membre de Nosotros. Cet étudiant Grec, à l’oeil de verre et dont la tignasse blonde hésite entre dreadlocks et simple crinière, organise la soirée. Il accueille la troupe sénégalaises sur le pas de la grande porte noire de Nosotros, au dessus de laquelle flotte deux drapeaux noirs et blancs sur la rue Themistokleus. Tout ce petit monde s’enfonce ensuite dans une cage d’escalier faiblement éclairée et recouverte de tags anarchistes. Puis au premier étage, la grande salle, les murs rouges, l’odeur de cigarette et les tables disposées pour l’occasion à coté de la cuisine solidaire, qui distribue les falafels. Une dizaine de membres sont présents pour les accueillir.
Le rite des camps à la rue
Youssef, surnommé « Président » à cause de son costume bleu marine trop large pour lui, prend la parole. Il raconte son arrivée en Grèce, son arrestation, car sans papiers, ses 18 mois dans un camps de rétention pour migrants dont il ne détaille rien. La situation sanitaire et les traitements infligés aux migrants dans ces camps ont été dénoncé par un grand nombre d’ONG, ce qui a poussé Alexis Tsipras les fermer dès son élection le 25 janvier 2015. Trop tard pour Youssef et les autres. Après la détention, les autorités grecques leur accordaient un titre de séjour de six mois renouvelable, conformément au droit européen et aux accords de Dublin II. Depuis 2003, ce dernier stipule que le pays dans lequel entrent les immigrés en a la charge. À lui de décider s’il octroie le droit d’asile ou non.
En attendant, impossible de quitter la Grèce sans perdre toute chance d’obtenir un jour ce précieux sésame. Youssef et ses amis doivent pointer au commissariat deux fois par mois. « On ne vient pas d’un pays en guerre, on ne peut pas avoir le statut de réfugiés politiques », plus simple à obtenir et plus avantageux. Toute l’assemblée a vécu ce rite initiatique, avant de retrouver la rue. Ils se logent à plusieurs dans des appartements pourris et vivent du travail au noir, qui est monnaie courante dans une Athènes dévastée par la crise depuis bientôt huit ans. Il n’est pas difficile de les reconnaître, ce sont eux qui accostent tout sourire les touristes pour leur vendre des bibelots aux pieds de l’Acropole, dans le quartier de Monastiraki, là ou les prix sont dignes de ceux pratiqués sur la Cote d’Azur.
Certains trouvent donc refuge à Exarcheia, où ils sont tranquilles et où la population tente de les aider. Dans les centres sociaux autogérés, ils trouvent l’aide de ceux qui veulent bien la leur apporter. Connu pour sa mouvance anarchiste, ce quartier est un véritable ilot au coeur de la capitale grecque. Coincé entre Polytechnique, lieu historique de la révolution de 1974, et la faculté de droit d’Athènes, Exarcheia accueille plusieurs de ces centres autogérés comme Nosotros. Depuis 2005, militants, artistes et étudiants se côtoient ici. C’est surtout un lieu de débat politique et de rencontres mais la solidarité y tient une grande place.
« Si Dieu a décidé qu’Athènes serait mon escale… »
Peu a peu, les quatre amis de Youssef se détendent et entrent dans la discussion. De sa voix fluette mais dans un anglais impeccable, Brahim, raconte le racisme au quotidien. Par exemple comment on l’a dénoncé alors qu’il tentait de prendre l’avion pour la France. « Ma soeur m’attendait à Roissy, mais cette vieille dame est allée demander à un policier de me contrôler ». Luka sourit tristement en l’entendant, il ne peut pas lui donner tort. Il est bien conscient d’appartenir à une minorité. «Un racisme primaire existe chez nous, il parait par exemple inconcevable à certains Grecs qu’un homme noir travaille dans un magasin ou dans un restaurant. Les histoires de ratonnades ne manquent pas …» . Brahim aurait pu payer un passeur et prendre la route des Balkans, mais il a déjà connu les réseaux et ne veut plus s’y confronter. « Maintenant, il y a trop de migrants, les frontières se referment. Le problème, c’est que de plus en plus de gens se retrouvent bloqués en Grèce, la situation ici est de pire en pire ». Le pire pour eux, c’est que tant qu’ils n’ont pas leurs visas, leur situation n’évolue pas. Régulièrement, ils participent à des manifestations pour réclamer leurs droits. « Je les fais toutes. Regarde moi, je suis venu en Europe jouer au foot, j’ai fait des essais mais dans les clubs, on m’a dit que tant que je ne serais pas régularisé ils ne pourraient pas me prendre » peste Souleymane, qui travaille au noir dans un garage.
Le plus jeune, Bachir, discret au début, n’a pas quitté le Sénégal par nécessité. « Ma famille avait une bonne situation, je n’ai jamais manqué de rien contrairement à mes frères ici, mais je dois vivre mon aventure. Si Dieu a décidé qu’Athènes serait mon escale alors je dois rester ici et trouver une bonne situation pour moi ». Comme Bachir, tous se sont fait à l’idée que la Grèce représentait peut-être leur avenir, même s’ils voient qu’elle ne parvient pas à se sortir de la crise. Et que l’arrivée de toujours plus de migrants sans solutions ne fait que l’aggraver.
Robin Gabaston