Violences sexuelles : la parole des victimes se libère
27 juin 2021
En France, le nombre de plaintes pour violences sexuelles en 2020 s’est accru de 12% par rapport à 2019. Soutenue par le mouvement #MeToo, la parole des victimes se libère de plus en plus. Pour les accompagner dans leur processus de reconstruction, les groupes de parole sont des endroits clés où la fréquentation est en nette augmentation depuis 2 ans : concernant l’association « En parler », 400 femmes sont venues en 2019 contre 210 en 2018.

94 000 : c’est le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui sont victimes de viol ou de tentative de viol chaque année selon une étude faite par l’Observatoire national des violences faites aux femmes en 2019. Les plaintes pour violences sexuelles sont en hausse : +12% en 2017, +17% en 2018 et +19% en 2019. Dans les médias, le sujet occupe une place de plus en plus importante depuis l’affaire Weinstein qui a ébranlé Hollywood en 2017 ou même plus récemment avec l’affaire Duhamel en France. Des associations comme « En Parler » accompagnent les victimes de violences sexuelles dans leur processus de reconstruction.  Créée en 2017 par Sandrine Rousseau, qui avait témoigné dans l’affaire Denis Baupin à travers un livre « Parler », l’association a pour but d’en finir avec la loi du silence.

D’après un rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales de 2017, en moyenne chaque année 1,7 million de femmes de 18 à 75 ans sont victimes d’au moins un acte à caractère sexuel. 90% connaissent leur agresseur : par crainte des représailles notamment, seulement 12% d’entre-elles décident de porter plainte, et uniquement 10% des agresseurs sont condamnés.

Grâce aux mouvements #MeToo, #MeTooGay, #MeTooInceste et #BalanceTonPorc, les victimes ne se sentent plus seules et osent dénoncer.

Les groupes de parole : témoigner pour se reconstruire

Marie José Hay, la coprésidente d’En Parler et coordinatrice de l’antenne de Bordeaux, explique que les groupes de parole servent à « se retrouver entre victimes de violences sexuelles pour discuter de ce qu’on ne peut pas évoquer autrement. On n’est pas forcément écouté et les professionnels de santé ne sont pas sensibilisés aux incidences des violences sur la santé, la vie personnelle et professionnelle ». Alexia Kempf, coordinatrice de l’antenne de Strasbourg, rappelle qu’« il y a de la compréhension entre nous. On peut se reconnaitre dans le discours d’unetelle, et parfois même avoir une prise de conscience ». Ce soutien à travers la discussion entre victimes est essentiel : Sabine, 48 ans déclare : « J’ai enfin pu être entendue et comprise, cela m’a libérée du poids de la souffrance et de la culpabilité dont je n’avais jamais réussi à me départir depuis 30 ans. Exprimer cette souffrance à des personnes qui ont vécu les mêmes choses que moi m’a fait me sentir pour une fois normale ». « Cette association me permet de me sentir plus forte, moins seule, moins isolée dans mes démarches de guérison, notamment sur le plan psychologique. Cela m’aide à reprendre confiance en moi », ajoute Roselyne, 30 ans.

En 2020, il y a eu une hausse de 12% des plaintes pour violences sexuelles. La libération de la parole est un phénomène que remarque Marie José Hay à travers la hausse de la fréquentation des groupes de parole. Concernant le profil des personnes présentes, Alexia Kempf estime avoir « un public plutôt jeune, entre 20 et 30 ans principalement ». Les antennes de Paris, Bordeaux et Marseille accueillent des hommes pour qui la libération de la parole est encore plus compliquée parce qu’on leur a encore moins donné la possibilité de le faire. Marie José Hay observe que « contrairement à ce qu’on pense, les violences sexuelles sont dans tous les milieux socio-professionnels. On ne peut pas dire qu’il y a un problème d’éducation ou d’argent : le non-dit, la violence, l’inceste existent dans toutes les classes sociales ».

Pour Alexia Kempf, « le fait que des personnalités révèlent être victimes de violences sexuelles créé un système d’identification, de modèles et les personnes se disent que si la célébrité parle alors moi aussi je peux parler ». Récemment, la représentante des États-Unis, Alexandria Ocasio-Cortez a révélé être rescapée d’une agression sexuelle. Le monde du sport est aussi concerné : la championne américaine de basket-ball Breanna Stewart a révélé pendant le mouvement MeToo avoir été victime de violences sexuelles dans son enfance. Et la patineuse artistique Sarah Abitbol accuse son ancien entraîneur Gilles Beyer de viols et d’agressions sexuelles.

Le fait que seulement 12% des femmes victimes de violences sexuelles portent plainte s’explique par la question financière, l’accueil de la personne lors du dépôt de plainte, la longueur des procédures, le faible taux de condamnation ou le fait que les victimes ne sont pas forcément crues. Par ailleurs, Marie José Hay souligne que dénoncer peut entrainer un rejet de la victime pour protéger la réputation de la famille. Alexia Kempf indique que « certaines personnes n’avaient initialement pas porté plainte et décident de le faire grâce aux groupes de parole, à force de parler, et aussi parce qu’elles vont rencontrer d’autres victimes qui vont leur recommander telle avocate ».

« En Parler » propose aussi des ateliers socio-esthétiques, d’auto-défense et d’écriture afin d’aider à la reconstruction des victimes qui ont « une très mauvaise image d’elles-mêmes. C’est aussi retrouver l’estime de soi et comprendre qu’on a le droit d’être quelqu’un de libre et de choisir pour soi, ce que beaucoup de victimes ont tendance à oublier », dit Marie José. Alexia Kempf ajoute que « l’atelier socio-esthétique, c’est aussi réapprendre à vivre avec ce corps maltraité qui a la mémoire des violences et qui nous renvoie à l’agresseur »

Pour aider les victimes à parler, Marie José Hay estime qu’il « faudrait d’abord qu’elles soient crues et non le coupable. Au tribunal, il arrive que la victime soit accusée de détruire la vie de l’agresseur ». Alexia Kempf complète en disant qu’il faudrait accroitre « la formation des professionnels de santé, de la justice, de la gendarmerie pour qu’il y ait un accueil adapté et une connaissance de l’amnésie traumatique ou du stress post-traumatique ».

54 000 faits pour violences sexuelles ont été enregistrés en 2020 soit une hausse de 12% par rapport à 2019. Pour autant, cette hausse peut s’expliquer également par des plaintes concernant des faits antérieurs à 2019.

En 2017, sur 34 000 personnes suspectées d’avoir commis des violences sexuelles, moins de 5 800 ont été condamnées. Généralement, la question de la prescription des faits et la difficulté à prouver les faits amènent à des plaintes classées sans suite. Selon l’article 222-23 du Code pénal, le viol est un crime puni de 15 ans de prison voire de 20 ans si la victime est mineure : 7 000 plaintes ont été déposés en 2019 pour viol sur mineurs, d’après le ministère de l’Intérieur. Le nom de l’agresseur est inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles.

Valentine Lamoureux