Pour Frédéric Topin : « L’indépendance et la pérennité de la recherche sont remises en cause »
16 mai 2021
 
Frédéric Topin est maitre de conférences à Polytech’Marseille, au sein du laboratoire IUSTI centré sur les sciences de l’ingénieur en mécanique et énergétique.
Enseignant-chercheur depuis 1996, il constate la nature libérale de la Loi Pluriannuelle pour la Programmation de la Recherche (LPPR).

 

Est-ce que l’ouverture de la recherche au domaine du privé est une nouveauté de la LPPR ?

 

Dans mon domaine, les doctorants sont dans la totalité employés sur des contrats privés. Dans les nouveaux fonds alloués pour des projets de recherches, la plupart sont conditionnés à un accompagnement par des entreprises privées. Une part non négligeable des financements annoncés comme des financements de recherche sont capturés par le tissu industriel. Seule une fraction est véritablement allouée à la recherche. En sciences de l’ingénieur, il y a un historique de collaboration industrielle ancien et généralisé, on est habitués, mais il y a une extension aux autres domaines.

 

Pensez-vous que la LPPR va limiter la liberté des chercheurs dans leur domaine ?


Avec le système des appels d’offres de recherche qui se généralise, on présuppose que le politique est plus compétent pour choisir les thèmes de recherche que les acteurs qui animent ce secteur. Cela remet en cause l’indépendance et la pérennité de la recherche française. Ce n’est pas strictement propre à cette loi, mais c’est un pas supplémentaire dans cette évolution.

Passer d’un système de financement récurrent, avec lequel les chercheurs sont libres de s’organiser, à un financement par appel de projet, limite la visibilité sur l’avenir. Pour répondre à un appel d’offre de recherche il faut déjà avoir constitué une équipe et recruté des doctorants. Les candidats doivent s’engager à ne répondre à aucun autre appel. En revanche si le projet échoue, les candidats n’auront rien du tout malgré leur engagement. C’est d’un illogisme absolu.

 

Est-ce qu’on passerait à un modèle à l’américaine ?


Pas complètement. J’ai eu l’occasion de mener un projet de recherches aux Etats-Unis en 1999. J’étais un quidam quelconque de la recherche et pourtant dans les semaines qui ont suivi notre arrivée, des entreprises sont venues nous voir pour nous demander s’il y avait des sujets sur lesquels nous travaillions qui étaient susceptibles de les intéresser. Si c’était le cas, ils finançaient et récupéraient des droits industriels à la sortie. C’est plus que de la confiance dans les chercheurs, il y a une acceptation culturelle que l’innovation vient des universités et donc qu’il y a un contre-pouvoir. C’est très différent en France, on passerait à une libéralisation mais sans contre-pouvoir du côté des chercheurs.

 

Avec la LPPR, les chaires seraient accessibles après 5 ans de statut « junior », Que pensez-vous de cette mesure ?


Une fois de plus, ce changement n’a pas été demandé par la communauté des chercheurs. Cela met en place des contrats temporaires en cinq ans, avec une potentielle titularisation à l’issue. Donc, non seulement ça crée des situations précaires mais, en plus, ça court-circuite la file d’attente classique du renouvellement. Si on reprend la comparaison avec les Etats-Unis, là-bas les chercheurs sont extrêmement mobiles. Mais c’est aussi parce qu’autour des universités et des chercheurs il y a toute une organisation avec des systèmes de gardes d’enfant. Il y a surtout des contrats courts, mais récurrents, qui permettent une pérennité de l’emploi dans la majorité des cas. Ce n’est pas le cas chez nous.
Enfin le nouveau système des chaires pose un autre problème beaucoup plus grave : le financement serait désormais lié à l’individu et non plus au laboratoire. Cela équivaut à détruire de fait les laboratoires de recherche.

 

Cette réforme génère-t-elle malgré tout des opportunités pour les enseignant-chercheurs ?


C’est très difficile d’y croire et, au global, ça ne résout pas la précarité de nombre d’entre eux. Même s’il est légitime sur le long terme de se poser une question de fond sur le fonctionnement des universités, c’est-à-dire des salaires bas mais garantis à vie, ce débat devrait avoir lieu avec la communauté des gens concernés. Là, on introduit de manière arbitraire une rupture des règles du jeu entre les décisionnaires et le personnel.

 

Margaux Racanière