© Marie Scagni

 

D’où vient l’idée de coller des messages dans l’espace public pour propager des idées féministes? « Plus jamais silencieux•se face au viol », « Nous sommes tous•te victimes du patriarcat », « La rue est à nous », peut-on lire sur les murs d’Aix-en-Provence. Sous forme de phrases aux lettres noires sur des feuilles blanches, ces messages sont collés dans l’espace public, dans des endroits plus ou moins stratégiques. À l’origine apparus à Paris et destinés à dénoncer les féminicides, ils sont devenus un outil plus global pour sensibiliser et faire réagir l’opinion publique sur la question féministe, notamment au sujet des violences faites aux femmes.

 

Sous l’Ancien Régime, il était courant de placarder des affiches dans les rues pour rendre publics les avis officiels. Pendant la Révolution Française, Olympe de Gouges, figure pionnière du féminisme, est la première femme à utiliser ce support pour exprimer ses idées, notamment pour s’opposer à la décapitation de Louis XVI.

Les collages d’opinion dans l’espace public ne datent donc pas d’hier. Pourtant, ces dernière années, notamment avec l’émergence du mouvement Me Too, ils se propagent de plus en plus présents sur les murs de nos villes. En effet, c’est en 2019 que Marguerite Stern, militante féministe très controversée, remet au goût du jour cette pratique en créant son mouvement à Paris, qui s’est ensuite diffusé dans la plupart des grandes villes de France.

Cette forme d’expression tantôt saluée et tantôt critiquée, bénéficie d’une forte médiatisation sur les réseaux sociaux et attirent de plus en plus de militantes. Toutefois, ces agissements restent illégaux. Charlotte, ex-colleuse du collectif des collages d’Aix-en-Provence nous explique en quoi les collages féministes permettent de libérer la parole et d’imposer un véritable débat dans l’opinion publique. Elle évoque les raisons qui l’ont poussée à quitter le collectif il y a maintenant deux mois et à opter pour d’autres formes de militantisme.

 

Une façon de « se réapproprier la rue » selon Charlotte, ex-colleuse à Aix-en-Provence

 

Pourquoi avoir rejoint les collages ?

« Pour militer sans pression. Dans le collectif, on s’organise comme on veut, on n’a pas de tâches précises ni d’obligations, contrairement à la plupart des associations. On est entourées de personnes qui comprennent vraiment le combat car le collectif d’Aix est en non-mixité choisie sans hommes cis*, pour éviter le mansplaining. Il y a aussi un aspect intersectionnel dans la lutte qui me plait : toutes les minorités sont défendues. »

 

Quel est le but des collages féministes ?

« Le but des collages est de libérer la parole, de sensibiliser aux questions liées aux violences sexuelles et de dénoncer l’inaction des pouvoirs publics. L’objectif d’interpeller les passants avec des slogans chocs, en allant contre la pensée dominante. Cela permet la création d’un débat dans l’opinion publique et  l’expansion des idées féministes dans la rue, endroit inévitablement fréquenté par tous. »

 

Quelles sont les spécificités locales ?

« En fonction des villes, chaque collectif est indépendant des autres. Il y a des actions organisées à l’échelle nationale de temps en temps mais dans la majorité des cas on s’organise à l’échelle locale. Ce qui est bien à Aix, c’est que nous sommes en comité réduit : il y a pas plus de 60 personnes dont une vingtaine vraiment actives. Cela permet une sororité plus importante et plus de bienveillance militante car on se connait toutes. En revanche, ce qui complique la tâche c’est les nombreuses caméras dans la ville qui font que les collages sont rapidement retirés. »

 

Quelles sont les avantages de cette forme d’expression par rapport aux autres ?

« Les collages éduquent de façon plus populaire sur les questions féministes que dans les associations, qui ne touchent pas tout le monde. Ils permettent de faire passer certains termes dans le débat public. Par exemple, la notion de féminicide est désormais intégré par une majorité de personnes, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Dans les collages, il y a aussi un effet cathartique qui permet de dénoncer des sujets qui nous touchent personnellement. Enfin, cela permet de se réapproprier la rue, un espace dans lequel elles ont souvent peur et ne trouvent pas leur place. L’inconvénient c’est que ces pratiques sont malheureusement illégales et qu’on est donc exposés à des procédures judiciaires si la police nous surprend. »

 

Vous dénoncez l’inaction des pouvoirs publics, mais quelles sont vos revendications à ce sujet ?

« D’abord, une meilleure éducation des enfants sur la question et des rapports de domination existants dans nos représentations. Il est indispensable que, dès le plus jeune âge, les enfants savent ce qu’est un comportement correct et ce qui ne l’est pas. Un meilleur accompagnement des victimes de violences sexuelles et/ou conjugales est également nécessaire : elles sont souvent pas assez conseillées et mal accueillies, notamment dans les commissariats. Il faut aussi un accompagnement plus rigoureux des agresseurs, pour s’assurer qu’ils ne recommenceront pas, et plus de prévention aussi. Évidemment, pour cela, un budget et des moyens plus importants sont nécessaires. »

 

Pourquoi voir quitté les collages ?

« Avec leur forte médiatisation à travers les réseaux sociaux, les collages sont devenus esthétiques et leurs messages moins radicaux. Cela m’a poussé à quitter le collectif il y a deux mois. C’était une très bonne expérience militante mais je pense personnellement qu’aujourd’hui, la pratique des collages s’essoufflent un peu. Je pense donc me tourner vers d’autres formes de militantisme. »

*  Homme cisgenre : homme dont l’identité de genre est en accord avec son sexe de naissance.

 

Marie Scagni