Payer au temps passé et non au verre a le vent en poupe. L’Anticafé, chaîne de cafés présente un peu partout dans la France, propose depuis 2013 ce concept innovant du café coworking à l’ambiance décontractée. Des nouveaux espaces de vie nécessaires pour recréer le lien social après une crise sanitaire qui a dramatiquement creusé un fossé entre les consommateurs.

Une gorgée, puis deux, puis trois. Le savoureux café latte et son soupçon de lait d’amande coule au fond de la gorge. Sur chaque table se trouve un ordinateur prêt à accomplir le travail de la journée et une tartine de confiture fraîche prête à être mangée. Le tout accompagné de la singulière odeur de grains de café moulu qui chauffent derrière le bar. 9h30. Il est l’heure de prendre un second café. Ou peut-être même un troisième ? Les clients ne comptent plus les tasses, car ici à l’Anticafé, ce n’est pas au verre que l’on paye ses boissons, mais au temps passé dans le café.

L’Anticafé est un concept innovant qui nous vient directement d’Ukraine. Leonid Goncharov, son fondateur, arrive à Paris il y a plus de dix ans. L’étudiant trouve que les cafés traditionnels ne permettent pas de travailler correctement. Les tables sont trop petites et les serveurs trop insistants. Il existe des espaces de coworking pour travailler, mais ils sont bien trop stricts à son goût. Lui vient alors l’idée de créer l’Anticafé, un café coworking à l’ambiance décontractée où l’on paye non pas à la boisson, mais à l’heure passée sur place.

« Quand c’est chaleureux ça donne envie d’y rester ! »

L’Anticafé est un débit de boisson certes, mais aussi un lieu de vie comprenant le wifi gratuit, une imprimante, de la nourriture et des jeux de société. C’est un lieu de rencontres personnelles et professionnelles, où freelance et étudiants se retrouvent pour travailler dans un espace moins strict que les coworkings traditionnels ou la bibliothèque universitaire. Les yeux d’Océane Vial, étudiante habituée de l’anticafé d’Aix-en-Provence - qui a aujourd’hui fermé ses portes - se mettent à pétiller dès qu’elle en parle : « Quand c’est chaleureux, ça donne envie d’y rester ! »

A Paris, Lyon, Bordeaux, Strasbourg...

Depuis l’inauguration du premier Anticafé à Paris en 2013, le fondateur en a ouvert plusieurs dans la capitale, et des franchises se sont développées ailleurs en France à l’initiative d’entrepreneurs. Six Anticafés à Paris, un à Lyon, un à Strasbourg, un à Bordeaux et même un à Rome : le concept semble plaire. D’autres cafés coworking décontractés existent en France : « Colock Café » à Montpellier, « Ca[na]fé » à Nice ou encore « Chez Moi » à Rennes. Des entreprises concurrentes ont repris le concept de payer au temps passé, pas à la consommation, en l’adaptant à leurs villes respectives.

6€/heure, boissons, collations et services compris

Le prix varie en fonction des enseignes. Pour l’ensemble des Anticafés parisiens et des franchises régionales, il est aujourd’hui fixé à 6 €/heure, boissons, collations et services compris. Louise Nongeau, graphiste et chef de projet pour le groupe Anticafé, explique : « Ce prix a été calculé par rapport au montant que cela peut nous coûter, tout en restant accessible à tous. On a augmenté d’1€ l’an dernier car on propose des meilleurs services : le confort a été augmenté grâce à une meilleur connexion internet et de nombreux travaux pour rendre les espaces plus agréables à vivre. »

« A l’Anticafé, c’est vraiment plus agréable. »

Ce prix peut sembler élevé, notamment pour un porte-monnaie d’étudiant. D’après Océane, étudiante consommatrice, le système est bien plus rentable que de rester dans d’autres enseignes dites « classiques »: « Quand on compare avec Starbucks ou Columbus, où l’on paye 5 € un café latte, il n’y a pas de compétition. A l’Anticafé, on peut avoir autant de boissons que l'on veut pendant une heure. On peut se poser, le wifi est gratuit, les gens sont souriants. Il y a des jeux de société, une imprimante, etc. C’est vraiment plus agréable. » A l’époque où l’Anticafé aixois était ouvert, la jeune femme de 22 ans enchainait les cafés caramel macchiato, jusqu’à trois par heure tout en travaillant, ou en jouant avec ses amis.

En région, l’esprit étudiant et « comme à la maison »

A Strasbourg, Lyon et Bordeaux, les choses sont légèrement différentes. Nicolas Deloubes, manager de l’Anticafé bordelais, explique que lorsque deux de ses amis ont décidé d’ouvrir une franchise à Bordeaux, l’Anticafé était une évidence. Selon eux, il s’agissait du « café du futur », avec un vrai concept, une vraie atmosphère et des employés très à l’écoute des clients. Nicolas définit son Anticafé comme un espace de partage, sa particularité se distingue dans les services proposés. A Bordeaux, on trouve un buffet avec des aliments abordables, des tartines, des fruits, des céréales… En somme, un petit déjeuner étudiant par excellence. Les clients peuvent également ramener leur propre nourriture pour manger le midi et un four à micro-ondes est mis à leur disposition.

Autre grande différence : les Anticafés régionaux proposent de nouveau des jeux de société. La clientèle est beaucoup plus étudiante, et les enlever serait « se tirer une balle dans le pied », explique le manager.

A Paris, une majorité de travailleurs freelance

Les Anticafés ont tous des tailles différentes et des fonctionnements différents : chaque Anticafé est un Anticafé à part entière. Les Anticafés parisiens ont un esprit beaucoup plus coworking et pro que les Anticafés en région. Les seconds sont davantage ciblés par les étudiants, avec une atmosphère « comme à la maison ». A Paris, depuis la réouverture après le second confinement, la majorité de la clientèle vient pour travailler. Les jeux de société mis à disposition auparavant ont été retirés par précaution sanitaire, et n’ont pas été remis depuis. Autre raison de cette fréquentation essentiellement professionnelle : l’enseigne a lancé le « Pass », une offre pour les salariés en télétravail. Cette formule permet aux employés de venir travailler dans les Anticafés, et que leur entreprise paye à leur place.

A l’heure de la crise sanitaire

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la crise sanitaire et l’isolement social qui en a découlé n’a pas provoqué un boom de fréquentation dans les Anticafés à leur réouverture. Celle-ci coïncidant avec la fin du télétravail obligatoire, beaucoup de salariés sont retournés dans les locaux de leurs entreprises. A Paris, la reprise a été compliquée car les consommateurs n’étaient plus habitués à sortir, et beaucoup de mesures strictes ont été mises en place comme le port du masque, le retrait du buffet et la limitation du nombre de places. Aujourd'hui, la graphiste et chef de projet Louise Nongeau est contente de voir les clients revenir et se sentir plus à l’aise : « Nous sommes confiants pour l’avenir, le concept va redevenir aussi fort qu'avant, voire plus. »

Pour Bordeaux, la crise sanitaire a modifié les habitudes de fréquentation. La clientèle compte plus de professionnels que d’étudiants. Nicolas Deloubes établit un constat simple : avant, les meilleurs journées se faisaient le week-end, quand les étudiants venaient réviser et se détendre car les bibliothèques étaient fermées. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Cependant le manager bordelais ne perd pas espoir : « Avec l’arrivée de la pluie, du froid et des examens, on espère qu’ils vont revenir. »

Un facilitateur de rencontres

L’Anticafé est aussi un lieu propice aux rencontres. Le lien social est réellement facilité par l’ambiance chaleureuse du comme chez soi. Nicolas, le manager de Bordeaux, raconte l’une de ces rencontres fortuites illustrant bien ce phénomène : « A l’Anticafé, on aime bien aller parler aux clients et leur demander ce qu’ils font dans la vie. On a pu rencontrer une graphiste et son petit-ami motion designer, mais aussi une entrepreneuse. La jeune femme avait créé un concept qui s’appelait « vélo boulot Bordeaux ». Une sorte d’agence de com’ freelance qu’elle voulait développer. Ni une, ni deux, Etienne (l’un des deux gérants d’origine, ndlr) les a fait se rencontrer. Peu de temps après, COSME, leur collectif de freelance voit le jour. Il regroupe des communicants professionnels, graphistes et motion designers pour aider les entreprises dans leur communication. Ce collectif n’aurait probablement jamais existé sans l’Anticafé. »

 

Textes : Lucy Ritchie

Photos : Marie Lagache